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REVUE

DES

I>EUX MONDES

LII« ANNÉE. - TROISIÈMB PÉRIODE

TOWK W^- **' "«OTOIBU 1881

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REVUE

DES

DEUX MONDES

LU* ANNÉE. TROISIÈME PÉRIODE

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TOME CINQUANTE-QUATEIÈÏ^^^^

PARIS boreâd de la revue des deux mondes

KVB BONArAKTB,, 4 7

1882

SOUVENIRS

D'ENFANCE ET DE JEUNESSE

V.

LE SÉMINAIRE SAINT-SULPICE.

I.

La maison fondée par M. Olier, en 16A5, n'était pas la grande construction quadrangulaire , à l'aspect de caserne, qui forme maintenant un côté de la place Saint-Sulpice. L'ancien séminaire du XTU* et du XYiii* siècle couvrait toute l'étendue de la place actuelle et masquait complètement la façade de Servandoni. L'em- placement du séminaire d'aujourd'hui était occupé autrefois par les jardins et par le collège de boursiers qu'on appelait les robertins. Le bâtiment primitif disparut à l'époque de la révolution. La cha- pelle, dont le plafond passait pour le chef-d'œuvre de Lebrun, a été détruite, et, de toute l'ancienne maison, il ne reste qu'un tableau de Lebrun représentant la Pentecôte d'une façon qui étonnerait l'au- teur des Actes des apôtres. La Vierge y est au centre et reçoit pour son compte tout l'efiluve du Saint-Esprit, qui, d'elle, se

(i) Voir la Revue du 15 mars et da f d(^ccmbre 1876, du 1^' novembre 1880 et da 15 décembre 18S1.

6 REVUE DES DEUX MONDES.

répand sur les apôtres. Sauvé à la révolution, puis compris dans la galerie du cardinal Fesch, ce tableau a été radieté par la compa- gnie de Saint-Sulpice ; il orae aujourd'hui la chapelle du séminwre. A part les murs et les meubles, tout est ancien à Saint- Sulpice ; on s'y croit coraplètemeiit au xvn* siècle. Le temps et les com- munes défaites ont effacé bien des différences. Saint-Sulpice cumule aujourd'hui les choses autrefois les plus dissemblables ; si Ton veut voir ce qui, de nos jours, rappelle le mieux Port-Royal, l'ancienne Sorbonne et, en général, les institutions du vieux clei-gé de France, c'est qu'il faut aller. Quand j'entrai au séminaire de Saint-Sulpice, en 1843, il y avait encore quelques directeurs qui avaient vu M. Émery; il n'y en avait, je crois, que deux qui eussent des souvenirs d'avant la révolution. M. Hugon avait servi d'acolyte au sacre de M. de Talleyrand à la chapelle d'Issy en 1788. Il parait que, pendant la cérémonie, la tenue de l'abbé de Périgord fut des plus inconvenantes. M. Hugon racontait qu'il s'accusa, le samedi suivant, en confession « d'avoir formé des juge- mens téméraires sur la piété d'un saint évèque. » Quant au supé- rieur-général, M. Garnier, il avait plus de quatre-vingts ans. C'était en tout un ecclésiastique de l'ancienne école. 11 avait fait ses études aux robertins, puis à la Sorbonne. Il semblait en sortir, et, à l'en- tendre parler de « monsieur Bossuet, » de « monsieur Fénelon (1), » on se serait cru devant un disciple immédiat de ces grands hommes. Ces ecclésiastiques de l'ancien régime et ceux d'aujourd'hui n'avaient de commun que le nom et le costume. Comparé à la jeune école exaltée d'Issy (2), M. Garnier me faisait presque l'effet d'un laïque. Absence totale de démonstrations extérieures, piété sobre et toute raisonnable. Le soir, quelques-uns des jeunes allaient dans la chambre du vieux supérieur pour lui tenir compagnie pendant une heure. La conversation n'avait jamais de caractère mystique. M. Gar- nier racontait ses souvenirs, parlait de M. Ëmery, entrevoyait sa mort prochaine avec tristesse. Gela nous étonnait par le contraste avec les brûlantes ardeurs de M. Pinault, de M. Gottofrey. Tout dans ces vieux prêtres était honnête^ sensé, empreint d'un profond sentiment de droiture professionnelle. Ils observaienl; leurs règles,

(1) Qu'il Èùk permit à ce sujet de faire wiereiittrqwe. On •'bst habitué de notre emps à mettre monseigneur devant un nom propre» à dire monseigneur DupùnhuPt

tnonseigneur Affre. C'est une faute de français; lo mot « monsei^eur * ne doit s*employer qu'au vocatif ou devant un nom de dignité. En B*adressant à M. Dupan- loup, à M. Affre, en devait leur dire Monseigneur. En parlant d*émz, en devait dire monsieur Dupanloup, monsieur Affre, monsieur ou monseigneur Varehevéque de Paris, monsieur ou monseigneur Vévêque d'OrUoMS*

(2) Voir la Revue du 15 décembre 188i.

SOUYENIBS d'bNFAN€E ET JEUNESSE. 7

défendaient leurs dogmes comme un bon militaire défend le poste qui loi a ètè confié. Les questions supérieures leur échappaient. Le goût de Tordre et le dévouaient au devoir étaient le prindpe de toute leur vie.

M. Gamier était un savant oneuftaliste, et l'homme le plus versé de France dans Texégèse biblique telle qu'elle s'enseignait chez les catholiques il y a une centaine d'années. La modestie sulpi- ciemie Tempèdia de rien publier. Le résultat de ses études fut un immense ouvrage manuscrit, représentant un cours complet d'Écri- ture saiBte, selon les idées relativement modérées qui dominaient chez les catholiques et les protestans à la fin du xviu* siècle. L'es- prit en était fort analogue à cefaii deKoseniDûlIer, de Hug, de Jahn. Quand j'entrai à Saint-Sulpice, M. Garnier était trop vieux pour en- seigner ; on nous lisait ses cahsi^s. L'érudition était énorme, la science des langues très s<dide« De temps en temps, certaines naïvetés fai- saient sovirire : par exemple, la façon dont l'excellent supérieur résol- vait les difficultés qui s'attachent à l'aventure de Sara en Egypte. On sait que, vers k date le pharaon conçut pour Sara cet amour qui mit Abraham dans de si grands embarras, Sara, d'après le texte, aurait été presque septuagénaire. Pour lever cette difficulté, M. Gamier faisait observer qu'après tout pareille chose s'était vue, et que « mademoiselle de Lenclos » inspira des passions, causa des duels à soixant^iz ans. M. Garnier ne s'était pas tenu au courant des derniers travaux de la nouvelle école allemande ; il resta tou- jours dans une quiétude parfaite sur les blessures que la critique du xDL* siècle avait faites au vieux système. Sa gloire est d'avoir formé «1 M. Le Hir un élève qui, héritier de son vaste savoir, y joi- gnit la connaissance des travaux modernes et, avec une sincérité qu'expliquait sa foi profonde, ne disi^mula rien de la largeur de la plaie.

Accablé par l'âge et absorbé par les soucis du généralat de la société, H. Gamier laissait au directeur, M. Carbon, tout le soin de la maison de Paris. M. Carbon était la bonté, la jovialité, la droiture même. 11 n'était pas théologien; ce n'était nullement un esprit supérieur; on pouvait d'abord le trouver simple, presque commun; puis on s'étenoiait de découvrir, sous cette humble apparence, la chose du monde la moins commune, l'absolue cordialité, une maternelle condescendance, une charmante bonhomie. Je n'ai jamais vu une telle absence d'amour-propre. Il riait le premier de lui-même, de ses bévues à demi intenticnuielles , des plaisantes situations le mettait sa n^veté. Comme tous les directeurs, il faisait l'oraison à son leur. U n'y pensait pas cinq minutes d'avance; il s'embrouillait parfois dans son improvisation d'une manière si comique qu^on s*étoufiak pour ne pas rina. Il s'en apercevait, et

8 RETUE DBS DEUX MONDES.

trouvait cela tout uaturel. C'était lui qui lisait, au cours d'écriture sainte, le manuscrit de M. Garnier. Il pataugeait exprès, pour nous égayer, dans les parties devenues surannées. Ce qu'il y avait de sin- gulier, en efiet, c'est qu'il n'était pas très mystique, a Quel, penser- V0U8, peut être le mobile de vie de M. Carbon? » demandai-je un jour à un de mes condisciples. « Le sentiment le plus abstrait du devoir, » me répondit-il. M. Carbon m'adopta tout d'abord ; il reconnut que le fond de mon caractère est la galtô et l'acceptation résignée du sort. (( Je vois que nous ferons bon ménage ensemble, n me dit-il avec son excellent sourire. EQectivement M. Carbon est un des hommes que j'ai le plus aimés. Me voyant studieux, appliqué, con- sciencieux, il me dit au bout de très peu de temps : « Songez donc à notre société ; est votre place. » Il me tr^^itait déjà presque en confrère. Sa confiance en moi était absolue.

Les autres directeurs, chargés de l'enseignement des diverses branches de la théologie, étaient sans exception de dignes conti- nuateurs d'une respectable tradition. Sous le rapport de la doctrine, cependant, la brèche était faite. L'ultramontanisme et le goût de l'irrationnel s'introduisaient dans la citadelle de la théologie mo- dérée. L'ancienne école savait délirer avec sobriété; elle portait dans l'absurde même les règles du bon sens. Elle n'admettait l'irra- tionnel, le miracle, que dans la mesure strictement exigée par l'Écri- ture et l'autorité de l'église. La nouvelle école s'y complaît et semble à plaisir rétrécir le cliamp de défense de l'apologétique. Il ne faut pas nier, d'un autre côté, que la nouvelle école ne soit à quelques égards plus ouverte, plus conséquente, et qu'elle ne tienne, surtout de son commerce avec TAllemagne, des élémens de àis- cussion qu'ignoraient absolument les vieux traités de Locis theolo- gicis. Dans cette voie pleine d'imprévu et, si l'on veut, de périls, Saint-Sulpice n'a été représenté que par un seul homme ; mais cet homme fut certainement le sujet le plus remarquable que le clergé français ait produit de nos jours; je veux parler de M. Le Hir. Je l'ai connu à fond, comme on le verra tout à l'heure. Pour com- prendre ce qui va suivre, il faut être très versé dans les choses de l'esprit humain et en particulier dansjes choses de foi.

M. Le Hir était un savant et un saint; il était éminemment l'un et l'autre. Cette cohabitation dans une même personne de deux entités qui ne vont guère ensemble se faisait chez lui sans colli- sion trop sensible, car le saint remportait absolument et régnait en maître. Pas une des objections du rationalisme qui ne soit venue jusqu'à lui. Il n'y faisait aucune concession, car la vérité de l'or- thodoxie ne fut jamais pour lui l'objet d'un doute. C'était de sa part un acte de volonté triomphante plus qu'un résultat subi. Tout à fait étranger à la philosophie naturelle et à l'esprit scientifique,

SOUYENIBS d'enfance ET DE JEUNESSE. 9

dont la première condition est de n'avoir aucune foi préalable et de rqeter ce qui n'arrive pas, il resta dans cet équilibre une con- viction moins ardente eût trébuché. Le surnaturel ne lui causait aucune répugnance intellectuelle. Sa balance était très juste; mais dans un des plateaux il y avait un poids infini, une foi inébran- lable. Ce qu'on aurait pu mettre dans l'autre plateau eût paru léger ; toutes les objections du monde ne l'eussent point fait vaciller.

La supériorité de M. Le Hir venait surtout de sa profonde con- naissance de l'exégèse et de la théologie allemandes. Tout ce qu'il trouvait dans cette interprétation de compatible avec l'orthodoxie catholique, il se l'appropriait. En critique , les incompatibilités se produisaient à chaque pas. En grammaire, au contraire, l'ac- cord était facile. Ici M. Le Hir n'avait pas de supérieur. Il possé* dait à fond la doctrine de Gesenius et d'Ëwald, et la discutait savam- ment sur plusieurs points. Il s'occupa des inscriptions phéniciennes et fit une supposition très ingénieuse, qui depuis a été confirmée. Sa théologie était presque tout entière empruntée à l'école catho- lique allemande, à la fois plus avancée et moins raisonnable que notre vieille scolastique française. M. Le Hir rappelle, à beaucoup d'égards, Dœllinger par son savoir et ses vues d'ensemble ; mais sa docilité l'eût préservé des dangers que le concile du Vatican a fût courir à la foi de la plupart des ecclésiastiques instruits. Il mou- rut prématurément en 1870, à la veille du concile, il devait se rendre comme théologien. J'avais toujours eu l'intention de propo- ser à mes confrères de l'Académie des inscriptions et belles- lettres de le nommer membre libre de notre compagnie. Il eût rendu, je n'en doute pas, à la commission du Corpus des inscriptions sémiti- ques des services considérables.

A son immense savoir M. Le Hir joignait une manière d'écrire juste et ferme. Il aurait eu beaucoup d'esprit s'il se fût permis d'en avoir. Sa mysticité tendue rappelait celle de M. Gottofrey; mais il avait bien plus de rectitude de jugement. Sa mine était étrange. Il avait la taille d'un enfant et l'apparence la plus chétive, mais des yeux et un front indiquant la compréhension la plus vaste. Au fond, il ne lui manqua que ce qui l'eût fait cesser d'être catho- lique, la critique. Je dis mal; il avait la critique très exercée en tout ce qui ne tient pas à la foi ; mais la foi avait pour lui un tel cœfScient de certitude que rien ne pouvait la conlre-balancer. Sa piété était vraiment comme les mères-perles de François de Sales, « qui vivent emmy la mer sans prendre aucune goutte d'eau marine. « La science qu'il avait de l'erreur était toute spéculative ; une cloi- son étanche e npêchait la moindre infiltration des Idées modernes de se faire dans le sanctuaire réservé de son cœur, brûlait, à cdté du pétrolcy la petite lampe inextinguible d'une piété tendre

10 RETUB DBS DEUX MOIXDEfi.

et absolument souyersine. Comme je n'avais, pas en mon espritces sortes de cloisons étanches, le rapprochement d*élômens contraires, qui, chez M. Le Hir, produisait une profonde paix intérieure» aboutit chez moi à d'étranges explosions.

II.

En somme, malgré des lacunes, Saint-Sulpice, quand jY passai il y a quarante ans, présentait un ensemble d'assez fortes études. Mon ardeur de savoir avait sa pâture. Deux mondes inconnus étaient devant moi, la théologie, l'exposé raisonné du dogme chrétien, et la Bible, censée le dépôt et la source de ce dogme. Je m'enfonçai dans le travail. Ma solitude était plus grande encore qu'à Issy. Je ne connaissais pas une âme dans Paris. Je fus deux ans sans suivre d'autre rue que la rue de Yaugirard, qui, une fois par semaine, nous menait à Issy. Je parlais extrêmement peu. Ces messieurs, pendant tout ce temps, furent pour moi d'une bonté extrême. Mon caractère doux et mes habitudes studieuses, mon silence, ma mo- destie leur plurent, et je crois que plusieurs d'entre eux firent tout bas la réflexion que me conununiqua M. Carbon : a Voilà pour nous un futur bon confrère. »

J'avais, en effet, pour les sciences ecclésiastiques un goût parti- culier. Les textes se cantonnaient bien dans ma mémoire ; ma tête était à l'état d'un Sic et Non d'Abélard. Tout entière construction du xin* siècle, la théologie ressemble à une cathédrale gothique; elle en a la grandeur, les vides immenses et le peu de solidité. Ni les pères de l'église, ni les écrivains chrétiens de la première moitié du moyen âge ne songèrent à dresser une exposition systémaiiquc des dogmes chrétiens dispensant de lire la Bible avec suite. La Somme de saint Thomas d'Aquin, résumé de la scolastique anté- rieure, est comme un immense casier, qui, si le catholicisme est éternel, servira à tous les siècles, les décisions des conciles et des papes à venir y ayant leur place en quelque sorte d'avance étique- tée. Il ne peut être question de progrès dans un tel ordre d'exposi- tion. Au XVI'' siècle, le concile de Trente tranche une foule de points qui étaient jusque-là controversables ; mais chacun de ces anathèmes avait déjà sa place marquée dans l'immense cadre de saint Thomas. Melchior Ganus et Suarès refont la Somme sans y rien ajouter d'essentiel. Aux xvir et au xvui* siècle, la Sorbonne compose pour l'usage des écoles des traités commodes, qui ne sont le plus souvent que la Somme remaniée et amoindrie. Par- tout ce sont les mêmes textes découpés et séparés de ce qui les explique, les mêmes syllogismes triomphans, mais posant sur la

SOUYBKIBS d'bNFANCE ET DB JEUNESSE. H

tide, les mêmes dé&uts de critique historique, provenant de la con- {aâon des dates et des milieux.

La tliéologie se divise en dogmatique et en morale, La théologiie dogmafâque, outre les Prolégomènes comprenant les discussions relatives aux sources de l'autorité divine, se divise en quinze trai- tés ayant pour objet tou3 les dogmes du christianisme. A la hase est le traité de la Vraie Religion , l'on essaie de démontrer le caractère surnaturel de la religion chrétienne, c'ést-à--dire des Écritures révélées et de l'église. Puis tous les dogmes se prou- vent par l'Écritore, par les conciles, par les pères, par les théolo* giass. Il ne faut pas nier qu'mi rationalisme très avoué ne soit au fond de tout cela. Si la scobstique est fille de saint Thomas d'Aquin, die est petite*fil!e d'Abélard« Dans un tel système, la raison est avant toute chose, la raison prouve la révélation, la divinité de récriture et l'autoriié de l'église. Cela fait, la porte est ouverte à toutes les déductions. Le seul accès de colère que Saint-Sulpice ait éprouvé depuis qu'il n'y a plus de jansénisme fut contre H. de Lamemiais, le jour cet exalté vint dire qu'il faut débuter^ non par la ndson, mais par la foi. Et qui reste juge en dernier heu des titres de la foi, si ce n'est la raison 7

La théologie morale se compose d'une douzaine de traités, com- prenant teiut l'ensemble de la morale philosophique et du droit, complétés par la révélation et les décisions de l'église. Tout cela fait une sorte d'encyclopédie très fortement enchaînée. C'est un édifice dont les pierres sont liées par des tenons de fer; mais la base est d'une faiblesse extrême* Cette base, c'est le traité de la Vraie Religion^ lequel est tout à âdt ruineux. Car non-seulement on n'arrive pas à établir que la religion chrétienne soit plus parti- culièrement que les autres divine et révélée ; mais on ne réussit pas à prouver que, dans le champ de la réalité attingible à nos observations, il se soit passé un fait surnaturel, un miracle. L'inexo- rable phrase de M. Littré : « Quelque recherche qu'on ait faite, jamais un miracle ne s'est produit il pouvait être observé et constaté, » cette phrase, dis-je, est un bloc qu'on ne remuera point. On ne saurait prouver qu'il soit arrivé un miracle dans le passé, et nous attendrons sans doute longtemps avant qu'il s'en produise un dans les conditions correctes qui seules donneraient à un esprit juste la certitude de ne pas être trompé.

En admettant la thèse fondamentale du traité de la Vraie Reli- giorij le champ de bataille est restreint; mais la bataille est loin d'être finie. La lutte est maintenant avec les protestans et les sectes dissidentes, qui, tout en admettant les textes révélés, refusent d'y voir les dogmes dont l'église catholique s'est chargée avec les aîècies. Ici la controverse porte sur des milliers de points; son bilan

12 CEVUE DES DEUX MONDIlS,

se chiffre en défaites sans nombre. L'église catholique s'oblige à soutenir que ses dogmes ont toujours existé tels qu elle les enseigne, que Jésus a institué la confession, rextrème-onction, le mariage, qu'il a enseigné ce qu'ont décidé plus lard les conciles de Nicée et de Trente. Rien de plus inadmissible. Le dogme chrétien s'est lait, comme toute chose, lentement, peu à peu, par une sorte de végétation intime. La ^théologie, en prétendant le contraire, entasse contre elle des montagnes d'objections , s'oblige à rejeter toute critique. J'engage les personnes qui voudraient se rendre compte de ceci à lire dans une Théologie le traité dessacremens; elles y ver- ront par quelles suppositions gratuites, dignes des apocryphes, de Marie d'Agreda, ou de Catherine Emmerich, on arrive à prouver que tous les sacremens ont été établis par Jésus-Christ à un mo - ment de sa vie. Les discussions sur la matière et la forme des sacremens prêtent aux mêmes observations. L'obstination à trouver en toute chose la matière et la forme date de l'introduction de l'aris- totélisme en théologie au xiir siècle. Or on encourait les censures ecclésiastiques si l'on repoussait cette application rétrospective de la philosophie d'Aristote aux créations liturgiques de Jésus.

L'intuition du devenir dans l'histoire comme dans la nature était dès lors l'essence de ma philosophie. Mes doutes ne vinrent pas d'un raisonnement, ils vinrent de dix mille raisonnemens. L'or- thodoxie a réponse à tout et n'avoue pas une bataille perdue. Certes, la critique elle-même veut que, dans certains cas, on admette une réponse subtile comme valable. Le vrai peut quelque- fois n'être pas vraisemblable. Une réponse subtile peut être vraie. Deux réponses subtiles peuvent même à la rigueur être vraies à la fois. Trois, c'est plus difficile. Quatre, c'est presque impossible. Mais que, pour défendre la même thèse, dix, cent, mille réponses subtiles doivent être admises comme vraies à la fois, c'est la preuve que la thèse n'est pas bonne. Le calcul des probabilités appliqué à toutes ces petites banqueroutes de détail est pour un esprit sans parti -pris d'un effet accablant. Or Descartes m'avait enseigné que la première condition pour trouver la vérité est de n'avoir aucun parti- pris.

in.

La lutte thèologique prenait pour moi un caractère particulier de précision sur le terrain des textes censés révélés. L'enseignement catholique, se croyant sûr de lui-même, acceptait la bataille sur ce champ, comme sur les autres, avec une parfaite bonne foi. La langue hébraïque était ici l'instrument capital, puisque, des deux

SOUVEKIBS d'ëNFAKCE £T DE JEUNESSE. IS

Bibles cbréiieDnes»ruDe est en hébreu et que, même pour le Nou- Teftu-Testament, il n'y a pas de complète exégèse sans l'hébreu.

L'étude de l'hébreu n'était pas obligatoire au séminaire; elle était même suivie par un très petit nombre d'élèves. Eu ISAS-lSii, H. Garuier fit encore, dans sa chambre, le cours supérieur, celui l'on expliquait les textes diificiles, à deux ou trois élèves. M. Le Hir, depuis quelques années, faisait le cours de grammaire. Je m'in- scri>is tout d'abord. La philologie exacte de M. Le Hir m'enchanta. Il se montra pour moi plein d'attentions ; il était Breton conmie moi ; nos caractères avaient beaucoup de ressemblance ; au bout de quelques semaines, je fus son élève presque unique. Son exposition de la grammaire hébruque, avec comparaison des autres idiomes sémi- tiques, était admirable. J'avais à ce moment une force d'assimilation extraordinaire. Je suçai tout ce que je lui entendais dire. Ses livres étaient à ma disposition, et il avait une bibliothèque très complète. Les jours de promenade à Issy, il m'amenait sur les hauteurs de la Solitude, et il m'apprenait le syriaque. Nous expliquions ensemble le Nouveau-Testament syriaque de Gutbier. M. Le Hir fixa ma vie; j'étais philologue d'instinct. Je trouvai en lui l'homme le plus capable de développer cette aptitude. Tout ce que je suis comme savant, je le suis par M. Le Hir. Il me semble même parfois que tout ce que je n'ai pas appris de lui, je ne l'ai jamais bien su. Ainsi il n'était pas très fort en arabe, et c'est pour cela que je suis tou- jours resté médiocre arabisant.

Une circonstance due à la bonté de ces messieurs vint me confir- mer dans ma vocation de philologue et, à l'insu de mes excellens maîtres, entre-bâiller pour moi une porte que je n'osais ouvrir moi- même. En J8AA, M. Garnier, vaincu par la vieillesse, dut cesser de faire le cours supérieur d'hébreu. M. Le Hir fît ce cours et, sachant combien je m'étais bien assimilé sa doctrine, il voulut que je fusse chargé du cours de grammaire. Ce fut M. Carbon qui, avec sa bien- veillance ordinaire, m'annonça en souriant cette bonne nouvelle, et m'apprit que la compagnie me donnait pour honoraires une somme de 300 francs. Gela me parut colossal ; je dis à M. Carbon que je n'avais pas besoin d'une somme aussi énorme; je le remerciai. M. Carbon m'imposa d'accepter 150 francs pour acheter des livres.

Une bien autre faveur fut de me permettre d'aller suivre au Col- lège de France, deux fois par semaine, le cours de M. Etienne Qua- tremère. M. Quatremère préparait peu son cours; pour l'exégèse biblique, il était resté volontairement en dehors du mouvement sdentifjque. 11 ressemblait bien plus à M. Garnier qu'à M. Le Hir. Janséniste à la façon de Silvestre de Sacy, il partageait le demi-ratio- nalisme de Hug, de Jahn, réduisant autant que possible la part du surnaturel, en particulier dans les cas de ce qu'il appelait a les

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miracles d'une exécution difficile, » comme le miracle de Josué, retenant cependant le principe, au moins pour les miracles du Nou- yeau-Testament. Cet éclectisme superficiel me satisfit peu. M. Le Hir était bien plus près du vrai en ne cherchant pas à atténuer la chose racontée, et en étudiant attentivement, à la façon d'Ewald, le rédt lui-même. Gonmie grammairien comparatif, M. Quatremère était aussi trës inférieur à H. Le Hir. Hais son érudition orientale était colossale ; le monde s'ouvrait pour moi ; je voyais que ce qui en apparence ne devait intéresser que les prêtres pouvait aussi intéresser les laïques. L'idée me vint dès lors phis d'une fois qu'un jour j'enseignerais à cette même table, dans cette petite salle des langues, j'ai en effet réussi à m'asseoir, en y mettant une assez forte dose d'obstination.

Cette obligation de clarifier et de systématiser mes idées en vue de leçons faites à des condisciples du même âge que moi décida ma vocation. Mon cadre d'enseignement fut dès lors arrêté ; tout ce que j'ai fait depuis en philologie est sorti de cette modeste confé- rence que l'indulgence de mes maîtres m'avait confiée. La nécessité de pousser aussi loin que possible mes études d'exégèse et de phi- lologie sémitique m'obligea d'apprendre Fallemand. Je n'avais à cet égard aucun élément; à Saint-Nicolas, mon éducation avait été toute latine et française. Je ne m'en plains pas. L'homme ne doit savoir littérairement que deux langues, le latin et la sienne; mais il doit comprendre toutes celles dont il a besoin pour ses affaires ou son instruction. Un bon condisciple alsacien, M. Kl.., dont je vois sou- vent le nom cité pour les services qu'il rend à ses compatriotes à Paris, voulut bien me faciliter les débuts. La littérature était pour moi chose si secondaire, au milieu de l'enquête ardente qui m'absor- bait, que j'y fis d'abord peu d'attention. Je sentis cependant un génie nouveau, fort différent de celui de notre xvii* siècle. Je l'admirai d'autant plus que je n'en voyais pas les limites. L'esprit particulier de l'Allemagne, à la fin du dernier siècle et dans la première moitié de celui-ci, me frappa; je crus entrer dans un temple. C'était bien ce que je cherchais, la conciliation d'un esprit hautement religieux avec l'esprit critique. Je regrettais par momens de n'être pas pro- testant, afin de pouvoir être philosophe sans cesser d'être chrétien. Puis je reconnaissais qu'il n'y a que les catholiques qui soient consé- quens. Une seule erreur prouve qu'une église n'est pas infaillible ; une seule partie faible prouve qu'un livre n'est pas révélé. En dehors de la rigoureuse orthodoxie je ne voyais que la libre pen- sée à la façon de l'école française du xvui* siècle. Mon initiation aux études allemandes me mettait ainsi dans la situation la plus fausse; car, d'une part, elle me montrait l'impossibilité d'une exé- gèse sans concessions ; de l'autre, je voyais parfaitement que ces

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messieiirs de SaiDtrSuIpice avaient raison de. ne pas faire de conces- âoDS, puisqu'un seul aveu d'erreur ruine l'édifice de la vérité abso- lue et la ravale au rang des autorités humaines,, chacun £ait son choix, selon son. goût personnel.

Dans un livre divin, en eilet, tout est vrai,, et deux contradio- toires ne pouvant être vraies à la fois», il ne doit s'; trouver aucune contradiction. Or, l'étude attentive que je faisais.de la Bible, en me révélant des trésors historiques et esthétiques , me prouvait aussi que ce livre n'était pas plus exempt qu'aucun autre livre antique de contradictions, d'inadvertances, d'erreurs. Il s'y trouve des iables, des légendes, des traces de composition tout humaine. Il n'est plus possible de soutenir que la seconde partie d'Isaîe soit d'Isaîe. Le Ëvre de Daniel, que toute l'orthodoxie rapporte au temps de la captivité, est un apocryphe composé en 169 ou 170 avant Jésus-Ghrist. Le livre de Judith est une impossibilité historique. L'attribution du Pentateuque à Moïse est insoutenable, et nier que plusieurs parties de la Genèse aient le caractère mythique, c'est s'obliger à expliquer comme réels des récits tels que celui du para- dis terrestre, de la pomme, de l'arche de Noé. Or on n'est pas catho- lique si l'on s'écarte sur un seul de ces points de la thèse tradition- nelle. Que devient ce miracle, si fort admiré de Bossuet : a Gyrus Dommè deux cents ans avant sa naissance? » Que deviennent les soixante-dix semaines d'années, bases des calculs de V Histoire uni-* verselle^ si la partie dlsaîe Gyrus est nommé a été justement composée du temps de ce conquérant, et si pseudo-Daniel est con- temporain d'Antiochus Épiphane?

L'orthodoxie oblige de croire que les livres bibliques sont l'ou- vrage de ceux à qui les titres les attribuent. Les doctrines catho- liques les plus mitigées sur l'inspiration ne permettent d'admettre dans le texte sacré aucune erreur caractérisée, aucune contradic- tion, même en des choses qui ne concernent ni la foi, ni les mœurs. Or mettons que, parmi les mille escarmouches que se livrent la critique et l'apologétique orthodoxe sur les détails du texte prétendu sacré, il y en ait quelques-unes où, par rencontre fortuite et contrairement aux apparences, l'apologétique ait raison : il est impossible qu'elle ait raison mille fois dans sa gageure, et il suffit qu'elle ait tort une seule fois pour que la thèse de l'inspiration soit mise à néant. Gette théorie de l'inspiration, impliquant un fait surnaturel, devient impossible à maintenir en présence des idées arrêtées du bon sens moderne. Un livre inspiré est un miracle. Il devrait se présenter dans des conditions aucun livre ne se prér sente, a Vous n'êtes pas si difficile, dira-tron, pour Hérodote, pour les poèmes homériques. » Sans doute ; mais Ilérodote, les poèmes homériques ne sont pas donnés pour des livres inspirés.

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En fait de contradictions, par exemple, il n'y a pas d'esprit dégagé de préoccupations théologiques qui ne soit forcé de recon- naître des divergences inconciliables entre les synoptiques et le quatrième é?angUe, et entre les synoptiques comparés les uns ayec les autres. Pour nous rationalistes, cela n'a pas grande consé- quence; mais l'orthodoxe, obligé de prouver que son livre a tou- jours raison, se trouve engagé en des subtilités infinies. Silvestre de Sacy était surtout préoccupé des citations de l' Ancien-Testament qui sont faites dans le Nouveau. II trouvait tant de difficultés à les justifier, lui si exact en fait de citations, qu'il avait fini par admettre en principe que les deux Testamens, chacun de leur côté, sont infail- libles, mais que le Nouveau n'est pas infaillible quand il cite l'An- cien. Il faut n'avoir pas la moindre habitude des choses religieuses pour s'étonner que des esprits singulièrement appliqués aient tenu en des positions aussi désespérées. Dans ces naufrages d'une foi dont on avait fait le centre de sa vie, on s'accroche aux moyens de sauvetage les plus invraisemblables plutôt que de laisser tout ce qu'on aime périr corps et biens.

Les gens du monde qui croient qu'on se décide dans le choix de ses opinions par des raisons de sympathie ou d'antipathie s'étonneront certainement du genre de raisonnemens qui m'écarta de la foi chrétienne, à laquelle j'avais tant de motifs de cœur et d'intérêt de rester attaché. Les personnes qui n'ont pas l'esprit scientifique ne comprennent guère qu'on laisse ses opinions se former hors de soi par une sorte de concrétion impersonnelle, dont on n'est en quelque sorte que le spectateur. En me laissant ainsi conduire par la force des choses, je croyais me conformer aux règles de la grande école du x\u^ siècle, surtout de Malebranche, dont le premier principe est que la raison doit être contemplée, et qu'on n'est pour rien dans sa procréation, si bien que le seul devoir de l'homme est de se mettre devant la vérité, dénué de toute per- sonnalité, prêt à se laisser traîner voudra la démonstration pré- pondérante. Loin de viser d'avance certains résultats, ces illustres penseurs voulaient que, dans la recherche de la vérité, on s'in- terdit d'avoir un désir, une tendance, un attachement personnel quelconque. Quel est le grand reproche que les prédicateurs du xvii^ siècle adressent aux libertins? C'est d'avoir embrassé ce qu'ils désiraient, c'est d'être arrivés aux opinions irréUgieuses parce qu'ils avaient envie qu'elles fussent vraies.

Dans cette grande lutte engagée entre ma raison et mes croyances, j'évitai soigneusement de faire un seul raisonnement de philoso- phie abstraite. La méthode des sciences physiques et naturelles qui, à Issy, s'était imposée à mon esprit comme une loi absolue, aisait que je m 3 défiais de tout système. Je ne m'arrêtai jamais à

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une objection 8ur les dogmes de la trinitéi de riDCtrnation, envisa- gés en eux-mêmes. Ces dogmes, se passant dans Téther métaphy- sique, ne choquaient en moi aucune opinion contraire. Rien de ce que pouvaient avoir de critiquable la politique et l'esprit de l'église soit dans le passé, soit dans le présent, ne me faisait la moindre impression. Si j*avais pu croire que la théologie et la Bible étaient la vérité, aucune des doctrines plus tard groupées dans le Syllabus, et qui dès lors étaient plus ou moins promulguées, ne m'eût causé la moindre émotion. Mes raisons furent toutes de Tordre philolo- gique et critique; elles ne furent nullement de l'ordre métaphysi- que, politique, moral. Ces ordies d'idées me paraissaient peu tan- gibles et pliables à tous sens. Hais la question de savoir s'il y a des contradictions entre le quatrième évangile et les synoptiques est une question tout à fait saisissable. Je vois ces contradictions avec une évidence si absolue que je jouerais là-dessus ma vie, et par con- séquent mon salut éternel, sans hésiter un moment. Dans une telle question, il n'y a pas ces arrière-plans qui rendent si douteuses toutes les opinions morales et politiques. Je n'aime ni Philippe II ni Pie y ; mais, si je n'avais pas des raisons matérielles de ne pas croire au catholicisme, ce ne seraient pas les atrocités de Philippe II ni les bûchers de Pie V qui m'arrêteraient beaucoup.

De très bons esprits m'ont quelquefois fait entendre que je ne me serais pas détaché du catholicisme sans l'idée trop étroite que je m'en fis, ou, si Ton veut, que mes maîtres m'en donnèrent. Cer- taines personnes rendent un peu Saint-Sulpice responsable de mon incrèduhté et lui reprochent, d'une part, de m'avoir inspiré pleine confiance dans une scolastique impliquant un rationalisme exagéré ; de l'autre, de m'avoir présenté comme nécessaire à admettre le summum de l'orthodoxie, si bien qu'en même temps ils grossis- saient outre mesure le bol alimentaire et rétrécissaient singulière- ment l'orifice de déglutition. Gela est tout à fait injuste. Dans leur manière de présenter le christianisme, ces messieurs de Saint-Sul- pice, en ne dissimulant rien de la carte de ce qu'il faut croire, étaient tout simplement d'honnêtes gens. Ce ne sont pas eux qui ont ajouté la qualification Est de fide à la suite de tant de propositions insou- tenables. Due des pires malhonnêtetés intellectuelles est de jouer sur les mots, de présenter le christianisme comme n'imposant presque aucun sacrifice à la raison, et, à l'aide de cet artifice, d'y attirer des gens qui ne savent pas ce à quoi au fond ils s'engagent. C'est l'illusion des catholiques laïques qui se disent libéraux. Ne sachant ni théologie ni exégèse, ils font de l'accession au christianisme une simple adhésion à une coterie. Us en prennent et ils en laissent ; ils admettent tel dogme, repoussent tel autre, et s'indignent après cela

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guaad on leur dit qu'ils ne sont pas de vrais catholiques. Quelqu'un qui a fait de la théologie n'est plus capable d'une telle inconsé- quence. Tout reposant pour lui sur l'autorité infaillible de l'Écriture et de L'église, il n'y a pas à choisir. Un seul dogme abandonné, un seul enseignement de l'église repoussé, c'est la négation de l'église et de la révéladon. Dans une église fondée sur l'autorité divine, on est aussi hérétique pour nier un seul point que pour nier le tout. Une seule pierre arrachée de cet édifice, l'ensemble croule fatale- ment.

Il ne sert non plus de rien de dire que l'église fera peut-être im jour des concessions qui rendront inutiles des ruptures comme celle à laquelle je dus me résigner, et qu'alors on jugera que j'ai renoncé au royaume de Dieu pour des vétilles. Je sais bien la mesure des concessions que l'église peut faire et de celles qu'il ne faut pas lui demander. Jamais l'église catholique n'abandonnera rien de son sys- tème scolastique et orthodoxe ; elle ne le peut pas ; c'est comme si on demandait à M. le comte de Chambord de n'être pas légitimiste. Il y aura des <