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The JasonA.Hannah

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of Médical

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Sciences

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MEDITATIONS

METAPHYSIQVES

DE RENE DES-CARTES

TOVCHANT LA PREMIERE PHILOSOPHIE, dans lefquelles l'exiftencc de Dieu,& la diftin&ion réelle entre lame & le corps de l'homme, font demonftrées.

Traduites du Latin de l'Auteur par Mr le D.D.L.N.S.

Et lesObjeftions faites contre ces Méditations par diuerfes pcrfonncstrcs-do£tes,auec les réponfes de V Auteur.

Traduites par MT C.L.R.

A PARIS, Chez laVeuue IEAN CAMVSAT,

ET

PIERRE LE PETIT, Imprimeur ordinaire du Roy,

rue S.Iacques,à la Toyfon d'Or.

M. DC. XLVII. AVEC PRIVILEGE DV ROT.

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A

MESSIEVRS

LES DOYEN ET DOCTEVRS

DE LA SACREE FACVLTE' DE Théologie de Paris.

ESSIEVRS,

La raifbn qui me porte à vous pré- senter cet ouurage eft fi iufte , & quand vous en connoiftrez; te deffein, te maffeure que vous en au- rezj aufii <vne fi iufte de le prendre en <voftre pro- tection, que ie penfe ne pouuoir mieux faire pour vous le rendre en quelque forte recommandable , qu'en vous difant en peu de mots ce que ie m j fuis propofe. ïay toujours eftimé que ces deux queftions de Dieu & de ïame > eïloient les principales de

à ' ij

EPISTRE.

celles qui doiuent plujlofi e(îre demonfirees par les raiforts de la Philo fophie que de la Théologie: Car bien quil nous foffife à nous autre* qui fommes fidèles , de croire far la Foy qu'il y a vn Dieu , & que l'ame humaine ne meurt point auec le corps; certainement ilnefemblepas pofiibk depouuoir ia- mais perfuader aux Infidèles aucune Religion , ny quafi mefme aucune 'vertu A4 orale 9 fi première* ment on ne leurprouue ces deux chofes Par raifbn naturelle s Et d'autant qu'on propofè fouuent en cette vie de plus grandes recompenfes pour les vi- ces que pour les vertus , peu de perfonnes prefere- roient le iufie a tvtile , fi elles neftoient retenues, ny par la crainte de *Dieu3 ny par l'attente d'vne autre vie ; Et quoy quil foit abfolument vray, qu'il faut croire qu'il y a vn Dieu, parce quil efir ainfi enfiigné dans les Saintes Eficritures , & d'autre part quil faut croire les Saintes Efcritu- re s .parce quelles viennent de Dieu; & cela pource que la Foy efiant vn don de Dieu, celuy-la mefme qui donne la grâce pour faire croire les autres cho- fes Ja peut aufii donner pour nom faire croire quil exifle : on ne fçauroit neantmoins propofer cela aux Infidelles , qui pourraient s imaginer que l'on com- mettrait en cecy la faute que les Logiciens nom- ment vn Cercle* Et de vray, i'ay pris garde que

EPISTRE.

vous autres Mefieurs , auec tous les Théologiens, riaffeuriez, pas feulement que iexijtence de Dieu fe veut prouuer par raifon naturelle y mais aufii que ton infère de la Sainte Efcriture , que fa con- noiffance eli beaucoup plus claire que celle que ion a de plufieurs chofes créées, & qùen effet elle eflfl facile , que ceux qui ne l'ont point font coupables s Comme u f paroi ft par ces paroles de la Sageffe cha~ pitre 13. ou il eft dit, que leur ignorance n'eft point pardonnable : car fi leur efpric a pénétré fi auant dans la connoiffance des chofes du monde, comment eft-il poffible qu'ils n'en ayent point trouué plus facilement le fouue- rain Seigneur. Et aux Romains chapitre premier, il eft dit qu ils font inexcufables j Et encore au mef me endroit par ces paroles, ce qui eft connu de Dieu eft manifefte dans eux, ilfemble que nous foyons aduertis , que tout ce qui fe peutfçauoir de Dieu, peut tftre monftré par des raifons quil ri eft pas befom de chercher ailleurs que dans nous- me fc mes, & que nojîre elfrit Jeul eft: capable de nous fournir. C'eftpourquoy 1 ajpenfe qu'il ne feroit point hors de propos, que iefiffe <voir icy par quels moyens celafè peut faire, & quelle voye U faut tenir, pour arriuer a la connoiffance de Dieu auec plus de fa- cilité $ de certitude , que nous ne connoiffons les

a liï

E P I S T R E.

chofes de ce monde. Et pour ce qui regarde ÎAme> quoj que plufieurs ayent creu quil rieft pas aysé d'en connoiflre la nature , & que quelques vns ayent me/me osé dire que les raijons humaines nous perfuaàoient quelle mouroit auec le corps, {0 quil ri y auoit que la feule Foj qui nous enfeignaft le con- traire ; neàntmoins dautant que le Concile de La~ tran tenu fous Léon X. en la Sefton 8. les con- damne , & quil ordonne exprefement aux Philo- fbphes Chrétiens de refondre a leurs argumens, & d'employer toutes les forces de leur efprit pour faire connoiflre la vérité , ïay bien osé ï entrepren- dre dans cet efcrit* T) auant âge > fâchant que la principale ra'ifon, qui fait que plufieurs impies ne veulent point croire qu'il y a <vn Dieu , & que l'ame humaine eft diftinâe du corps 3efi9 qu'Us di- fent que perfonne iufques icy n'a peu demonftrer ces deux chofes : quoj que ie ne fois point de leur opinionymau qu'au contraire ie tienne que prefque toutes les raifbns qui ont eslé aportées par tant de grands perfonnages touchant ces deux que si ions, font autant de démonstrations quand elles font bien entendues s& quil f oit pre [que impofible d'en inuen- ter de nouueUes :fi esl-ce que ie crojqùon ne fçau- roit rien faire déplus vtile en la Philo fophie 9 que d'en rechercher une fois curieufement, fi) auec foin,

EPISTRE.

les meilleures & plus folides, & les difpofèr en *on ordre fi clair ft) fi exaéï > quil fbit confiant défor- mais a tout le monde, que ce font de 'véritables dé- monstrations. Et enfin dautant que plufieurs per- fonnes ont defiré cela de moy , qui ont connoiffance que iay cultiué *vne certaine méthode pour refou- dre toutes fortes de difficultés dans les fciences ; méthode qui de vray riejl pas nouuelle , n'y ayant rien de plus ancien que la venté, mais de laquelle ils fçauent que ie me (uis feruy aJfeZj heufeufe- ment en d'autres rencontres s iay p en qu'il est oit de mon deuoir de tenter quelque chofe fur ce fujet. Or iay trauaillé de tout mon pofible pour com- prendre dans ce Traité tout ce qui s en peut dire s Ce ne fi pas que iaye icy ramafîé toutes les diuer- fes raifons qu'on pourroit alléguer pour feruir de preuue à nojire fujet s car ie riay iamais creu que cela f uft neceffaire,finon lors quilriyïn a aucune qui foit certaine s mais feulement iay traité les premières & principale* d'vne telle manière, que iofe bien les propofer pour de tres-euidentes %) tres~ certaines demonfirations : Etie dirayde olm quel- les font telles , que ie ne penfe pas qu'il y ait au- cune voje par iesjrit humain en puiffe iamais decouurir de meilleures : car l'importance de L'af- faire, & la gloire de Dieu à laquelle tout cecjfè

E P I S T R E.

raporte, me contraignent de parler icy njn peu plus librement de moy que ie ri ay de coufiume. Néant- moins quelque certitude & euidence que ie trouue en mes raifons , ie ne puis pas me perfuader que tout le monde foit capable de les entendre : Mais tout ainfi que dans la Géométrie il y en a plufieurs mu nous ont eflélaifées par Archimede,par Apol- lonius y par Papus, fi) par plufieurs autres, qui font receuès de tout le monde pour très - certaines & très -euidentes : parce quelles ne contiennent rien qui confideré feparément ne foit très- facile à con- noifire, & quil riy a point d'endroit ou les confe- qutnces ne quadrent , & ne contiennent fort bien auec les antecedans ; neantmo'ms parce quelles font <vn peu longues , & quelles demandent <vn efbrit tout entier, elles ne font comprifes ft) enten- dues que de fort peu de perfonnes : De mefme en- core que lejiime que celles dont ie me fers icy, éga- lent, "voire mefme furpajfent en certitude & eui- dence , les démonstrations de Géométrie , lapre- hende neantmoim quelles ne puiffent pas eslre affezj fufffamment entendues de plufieurs , tant parce quelles font aufii vnpeu longues, & dépen- dantes les vnes des autres p que principalement, parce quelles demandent <vn esprit entièrement li- bre de tous préjugez^ 9 & qui fe puijfe ay sèment

déta^

EPISTRE.

détacher du commerce des fins. Et en vérité, il ne s'en trouue vas tant dans le monde qui [oient pro- pres pour les Spéculations JMetaphyfïques , que pour celle* de Géométrie. Et de plus il y a encore cette différence y que. dam la Géométrie chacun eftant preuenu de l'opinion, qu'il ne s'y auance rien qui n ait vne demonftration certaine s ceux qui ny font pas entièrement verfezj 3 pèchent bien plus fouuent en approuuant de fauffes demonflrations pour faire croire qu'ils le<s entendent y quen réfu- tant les véritables. Il n'en ejl pas de. mefrne dans la Philofophie y ou chacun croyant que toutes f es propofitions font problématiques , peu de perfonnes s addonnent a la recherche de la 'vérité \ fj) mefme beaucoup voulant acquérir la réputation de forts esprits y ne s'étudient a autre chofe qua combat- tre arrogamment les veritezj les plus apparentes. C'efl pourquoy, Messievrs, quelque force que puiffent auoir mes raifbns, parce quelles apartien- nent a la Philofophie , ie n'efpere pas quelles faf fent vn grand effort fur les efj?rits , fl vous ne les prenez en voflre protection. JVLais l'eflime que tout le monde fait de voflre Compagnie efiant fi grande y & le nom de Sorbonne d'vne telle au, ho- rite y que non feulement en ce qui regarde la Foy, après les facrezj Conciles, on na iamais tant dé*

EPISTRE.

feré au iugement d'aucune autre Compagnie, mais aufii en ce qui regarde l'humaine Phifofophie, cha- cun croyant au il neft fias pofiible de trouuer ail- leurs plus de folidité & de connoijfance , ny plus de prudence & d'intégrité pour donner [on juge- ment : le ne doute point , fi 'vous daignez^ pren- dre tant de foin de cet efcrit , que de «vouloir pre- mièrement le corriger, car ayant connoijfance non feulement de mon infirmité , mais aufii de mon ignorance , te noferois pas apurer quil ny ait au- cunes erreurs : puis après y ad jouter les chofes qui y manquent -, acheuer celles qui ne font pas par- faites; & prendre vous mefmes la peine de don- ner <vne explication plus ample a celles qui en ont befoin, ou du moins de m en auertir afin que ïy trauaille : Et enfin, après que les raifons par lefi quelles ie prouue qu'il y a <vn "Dieu, & que ïame humaine diffère dauec le corps, auront efïé por- tées iufques au point de clarté & d'euidence, ou ie maffure qu'on les peut conduire , quelles deuront efire tenues pour de tres-exaBes demonftrations , vouloir déclarer cela me fine , & le témoigner pu- bliquement : le ne doute point , difje, que fi cela fe fait , toutes les erreurs & fauffes opinions qui ont iamais elle touchant ces deux queflions ,■ ne /oient bien-toji effacées de ïeffrit des hommes : car

EPISTRE.

la vérité fera que tous les doutes & gens d'ejhrit foufcr iront a v offre iugement s Et vojire autorité', que les Athées qui font pour î ordinaire plus ar- rogans que doctes ft) iudicieux ,fè dépouilleront de leur esprit de contradiction s ou que peut- efire ils foutiendront eux-mefmes les raijons qu'ils verront efire recettes par toutes les perfonnes d'efbrit pour des demonfirations , de peur qùils ne paroiflent rien auoir pas l'intelligence : Et enfin tous les au- tres Je rendront ay se ment a tant de témoignages , & il ri y aura plus pérfonne qui ofe douter de le- xiftence de Dieu, ft) de la dijlinclion réelle & vé- ritable de lame humaine d'auec le corps. C'eff a vous maintenant a iuger du fruit qui reuiendroit de cette créance , fi elle efioit vne fois bien efiablie , qui voyez* les defbrdres que fon doute produit:, mais ie naurois pas icy bonne grâce de recomman- der dauantage la catife de Dieu f0 de la Religion,- a ceux qui en ont toufiours e fié les plus fermes Co- lonnes.

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! LE LIBRAIRE AV LECTEVR.

A fatisfa&ion que ic puis promettre à toutes les perfonnes d'efprit dans la le- cture de ce Liure , pour ce qui regarde l'Auteur & les Traducteurs , m'oblige à prendre garde plus foigneufement à contenter auffi le Lecteur de ma part, de peur que toute fa difgracc ne tombe fur moyfcul. le tafchc donc àlefatisfaire, & par mon foin dans toute cette imprefïïon, & par ce petit éclairciflem en t,dans lequel ie le dois icyauertir de trois chofes, qui font de ma connoifianec particu- lière, & qui feruiront à la leur. La première eft, quel a efté le deffein de l'Auteur, lors qu'il a publié céc ouurage en Latin. La féconde., comment cV pourquoy il paroift aujourd'huy traduit en François ; Et la troi- fiefmc, quelle eft la qualité de cette verfïon. I. Lors que l'Auteur après auoir conceu ces Médita- tions dans fon efprit, refolut d'en faire part au public, ce fut autant par la crainte d'étouffer la voix de la vé- rité, qu'à deffein de la foumettre à 1 epreuue de tous les doctes ^ A cet effet il leur voulut parler en leur langue, & à leur mode, & renferma toutes fes penfées dans le Latin, & les termes de l'Efcolc. Son intention n a point efté fruftrée, & fon Liure a efté mis à la que- ftiondans tous les Tribunaux de laPhilofophie. Les Obje&ions iointes à ces Méditations le témoignent affez 5 & monftrent bien que les/çauans du fieclc fe

font donné la peine d'examiner fes propoficions aûec rigueur. Ce n'eft pas àmoy de iuger auec quel fuc- cez, puifque c'eft moy qui les prefente aux autres pour les en faire iuges. Il me fuffit de croire pour moy,& dafïurer les autres, que tant de grands hommes n'ont peu fe choquer fans produire beaucoup de lumière. IL Cependant ceLiure paffedcsVniuerfitcz dans les Palais des Grands, & tombe entre les mains dvne per- fonne dvne condition tres-eminente. Apres en auoir leu les Méditations, & les auoir iugées dignes de fa mé- moire, il prit la peine de les traduire en François foit que par ce moyen il fe voulut rendre plus propres Ôc plus familières ces notions alTez nouuelles -, foit qu'il neufl: autre dclTein que d honorer l'Auteur par vne fi bonne marque de foneftime. Depuis vne autre per- fonne aufli de mérite n'a pas voulu laiffer imparfait cet ouurage fi parfait, & marchant furies traces de ce Seigneur, a mis en noftre langue les Objections qui fuiuent les Méditations, auec lesRéponfesqui les ac^ compagnenti iugeant bien que pour plufieurs per- fonnes, le François ne rendroit pas ces Méditations plus intelligibles que le Latin, fi elles nettoient ac- compagnées des Objections, & de leur Réponfes, qui en font comme les Commentaires. L'Auteur ayant efté auerty de la bonne fortune des vnes& des autres, a non feulement confenty,mais aufïi defiré, & prié ces Meilleurs, de trouuer bon que leurs verfions fuffenr imprimées ;parce qu'il auoit remarqué que fes Médit. auoient efté accueillies & rece.uës auec quelque fatis-

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faction , par vn plus grand nombre de ceux qui ne s'appliquent point à la Philofophie de l'Efcole, que de ceux qui s'y apliqucnr. Ainfi, comme il auoit don- né fa première impreflion Latine au defir de trouuer des contredifans, il a creu deuoir cette féconde Fran- çoiie au fauorable accueil de tant de perfonnes, qui gouftant défia les nouuelles penfées,fembloient de- ïirer .qu'on leurofta la langue & le gouft de l'Efcole, pour les accommoder au leur. III. On trouuera par tout cette verfion alTcz iufie,& religieu fe, que iamais elle nes'eftefcartéedu fens de l'Auteur. le le pourrois allurer fur la feule connoif- fance que l'ay delà lumière del'efprit des Traducteurs, qui facilement n'auront pas pris le change. Mais i'en ay encore vue autre certitude plus authentique.qui eft qu'ils ont (comme il eftoit iufte) referué à l'Auteur le droit de reueuë & de correction. Il en a vfé, mais pour fe corriger plutoft qu eux, & pour éclaircir feulement fes propres penfées. le veux dire, que trouuant quel- ques endroits il luyafembléquil ne les auoit pas rendues aflez claires dans le Latin pour toutes fortes de perfonnes, il les a voulu icy éclaircir par quelque petit changement, qne Ion reconnoiftrabien tort en conférant le François auec le Latin. Ce qui a donné le plus de peine aux Traducteurs dans tout cet ouura- ge, a efté la rencontre de quantité de mots de l' A rr,qui eftant rudes &c barbares dans le Latin mefme , le font baucoup plus dans le François , qui eft moins libre, moins hardy, de moins accouitumé à ces termes de

l'Efcolci Ils n'ont ofé pourtant les obmettre, parce qu'il eut fallu changer le fens, ce que leur defendoit la qualité d'Interprètes qu'ils auoient prife:D'autre part, lors que cette verfion a paflé fous les yeux de l'Auteur, il l'a trouuée fi bonne, qu'il n'en aiamais voulu chan- ger le ftyle, &s'en eft toufiours défendu par fa mo- deftie, & Teftime qu'il fait de fes Traducteurs ; de for- te que parvne déférence reciproqu es, perfonne ne les ayant oilez, ils font demeurez dans cet ouurage.

I'adjoufteroismaintenantjS'il m'eftoit permis, que ceLiure contenant des Méditations fort libres, &qui peuuent mefmefembler extrauagantes à ceux qui ne font pas accouftumez aux Spéculations de la Meta- phyfique,il neferany vtile, ny agréable aux Lecteurs qui ne pourront apliquer leur efprit auec beaucoup d'attention à ce qu'ils lifent, ny sabftcnir d'en iu- ger auantquede l'auoiraiTez examiné. Mais i'ay peur qu'on ne me reproche que ie paffe les bornes de mon meftier, ou plutoft que ie ne le fçay guère, de mettre vn fi grand obftacleau débit de mon Liure, par cette large exception de tant de perfonnes à qui ie ne l'efti- me pas propre. le me tais donc, & n'effarouche plus le monde. Mais auparauant,ie me fens encore obligé d'auertir les Lecteurs d'aporter beaucoup d'équité 8c de docilité à la Le£ture de ce Liure \ car s'ils y viennent auec cette mauuaife humeur, & cet efprit contrariant de quantité de perfonnes qui ne lifent que pour dif- puter,&qui faifans profeffion de chercher la vérité, femblent auoir peur de la trouuer, puis qu'au mefmc

moment qu'il leur en paroit quelque ombre, ils taf- chenc de la combattre, & de la détruire, ils n'en Feront iamais ny profit, ny iugement raifonnable. Il le faut lire fans pre'uention, fans précipitation, Ôc à deffein de slnftruire \ donnant d'abord à fon Auteur l'efprit d'Efcolier , pour prendre par après celuy de Cen- feur. Cette méthode eft fi neceiTaire pour cette lectu- re, que ie la puis nommer la clef du Liure, fans la- quelle perfonnenelefçauroit bien entendre.

FAVTES JL CORRIGER.

p. 98.1.i8.euiderrnKnt,iii.eminenimci.t.p.io;$.l.6. des choies.ui. dans tes cnoies. p. 1 19.1.29. a ccqu a, r.iccqut 1». p. 157.I 16 croyiez, lif.croyez.p.i77.1.ii.en aucun,lif en aucun autre, p. 189 1 i4.1'onr,!if. . peuuent auoir.li.iid l.r^.ne l'ont, li('.n\:n ont point. p 224.. 1. 16. pattie,lif raport p. 180.1.15 à celuy q;ii imande.lif. fiquelqu'vn dem^nde.p.î8i.l.2. que.lif. parce que.p. 315. '.16. qu'vne telle cîiofe fuftjif.

PAge I3.!lgnc i^.rcpugno't, lifez repugneroit, p.53. 1.29.fuiuy, lif afuiuy. p 7; I.14. en cctte.Jif.par tetec. Ibidem 1. 15. d'auoir.lif. que d'auo r.p.86 l.)9.connoifle,lif.connuflc p. 90. 1.6 qu'il y a.Uf.qu'il a.p. 98.1.i8.euiderrnKnt,lif.eminenimci.t.p.io3.1.6. des chofes.lif. dans les chofes.p.i 19.I.29. à ce qu'à, lif.;' cn[ dema

qu'aucune fult.p.jrô.l^.ienem'cftois.lïl'.ie m'eftois p.3<5 6 1. iitneitezce chifre s.p.?8i.l 28.i'cus,lif.i'cu, èede mefme par tout ailleurs. p 384. 1. 5.1e ne connulte,lif. ie connufle.p.409.1.8.liifufe,liClnfus p. ^ 18. l.itf.auflî bien,lif.comme,p.4i9 I.T5 i!s, lif.elles.p.4 2 i.l.i p.liure, lif lieure.p.4i$ I 19. connu.lif conceu. p.4l9. 1.27. n'a t>l:Caic.p.448.i.8.touche,lir.couche.p.459.l.î^-Dieu,ou l'Eftre.lif. vu Dieu ou vn Elire, p. 450. 1.9. par, IL!. pas p. 47O.I 9. qu'elle n'exifte pas.lif. que de n'ex lier pas.p >o<î. 1 29. l'afliirer.lif, s'aiïurer.p^i^. I.10 efrre.lif.eftre dit.p 539 1 4<ces lif. fes.p.54vl.2.parqui,hf.parquoy. p.jjol.io l'aye rten,i'aye rien mis en auant. p. 553.1.13 remontrent,lif.rencontrét. p. ^9.1. 5, demanderiez, lif.demandiez. p.596.1.1 1 efpoufé.ou, lif.efpoufé vn. Ibid 1.^. préfère fans attention, lif. profère fans attentian.jp 6oi. 1. lo.ou.lif.on.p.fo^'.is.çamme fubflance-lif.comme vne fubflance.

ABREGE

DES SIX MEDITATIONS

S VI VANTE S.

ANS U première ie mets en auant les rai font four lesquelles nous pouuons douter générale- ment de toutes chojès > {0 particulièrement des chofès matérielles 5 au moins tant que nom n Aurons point, d * autres fondemens dans les feiences que ceux que nous auons eu iufqu'a prefent. Or bien que l'utilité d'un doute fi gênerai ne paroi ffe pas d'abord , elle efl toute s fois en cela très-grande , quil nous déliure de toutes fortes de pré- juge^ j ^ nous prépare njn chemin très, facile pour accou- tumer noflre eftrit à fe détacher des Cens : & enfin en ce qu'il fait qu'il riefl pas poffible que nous puijjions plus auo'ir aucun doute t de ce que- nous découur irons après ejlre "véritable.

Dans la féconde r ïeforit , qui vfant de fa propre liberté fùppofè que toutes- les ebofes ne font point de Cexijience défi quelles il a le mnndre doute > reconnoifl qu'il ejl abfolument

2 ABREGE*.

impoffible que cependant il riexifle pas luy-mejme. Ce qui efi aujfi ànjne très-grande vtilité , dautant que par ce moyen il fait aijèment di/linélion des cbofes qui luy appartiennent, cejl a dire à la nature intelle élue Ûe , & de celles qui appar- tiennent au corps. Mais parce qu'il peut arriuer que quel- ques~vns attendent de moj en ce lieu- des raifons pour prouuer l'immortalité de l'ame > fejlime les deuoir maintenant auertir > qu ayant tafcbé de ne rien ejcrire dans ce traitté, dont ie n'euffe des demonflrations tres-exaéles , ie me fuis veu obligé de Juiure <vn ordre fèmblab le à ce luy dont Je feruent les Géomètres yfçauoir efi , d'auancer toutes les cbofes des- quelles dépendla proportion que l'on cherche > auantque d en rien conclure.

Or la première & principale chofe qui efi requife auant que deconnoifire l'immortalité de l'ame , efi d'en former vne conception claire & nette > (éf entièrement diflintte de toutes les conceptions que l'on peut auoir du corps : Ce qui a efié fait en ce lieu-là. Il efi requis outre cela de Jçauoir que tou- tes les cbofes que nous conceuons clairement & diflinéle- ment font vrayes 3 félon que nous les conceuons : Ce qui n'a. pu efire prouué auant la. quatrième Méditation, De plus il faut auoir njne conception difiinéle de la nature corporelle 9 laquelle Je forme partie dans cette féconde , & partie dans la cinquième &jïxiéme Méditation. Et enfin l'on doit con- clure de tout cela que les cbofes que Ion conçoit clairement & diflinélcment ejtre des fubfiances différentes > comme l'on conçoit l'Efyrit dp le Corps 3 font en effet des Jiib fiance s diuer- Jès , & réellement difimcles les *vnes ctauec les autres. Et cep ce que bon conclut <kns lafixiéme Méditation. Et en U

ABREGE'. 3

me fine auffi cela fi confirme , de ce que nous ne concertons aucun corps que comme diuifible : au lieu que l'écrit , ou l'ame de l'homme , ne Je peut conceuoir que comme indimjible ; [an en effet nous ne pouuons conceuoir la moitié d'aucune ame, comme nous pouuons faire du plus petit de tous les corps $ en forte que leurs natures ne font pas feulement reconnues diuerfes , ' mais mefme en quelque façon contraires. Or il faut qu'ils fâchent que ie ne me fuis pas engagé d'en rien dire d'auantage en ce traitté- cy ; tant parce que cela fufft pour monftrer ajfe% clairement que de la corruption du corps la mort de l'ame ne s'enfuit pas , f0 ainfipour donner aux hom- mes l'ejlerance d'njne féconde njie après la mort ; comme aujji parce que les premiffes dpfque\les on peut conclure l'immor- talité de l'ame > dépendent de l'explication de toute la Phyfi- que. Premièrement , afin de fçauoir que généralement tou- tes les fub fiance s , c'efi a are les choies qui ne peuuent exi- fler fans efire créées de Dieu 3 font de leur nature incorru- ptibles 9 & ne peuuent iamais ceffer d' efire 9 fi elles ne font réduites au néant par ce mefme Dieu qui leur "veuille dénier fin concours ordinaire. Et en fuite afin que l'on remarque que le corps pris en gênerai cfl <vne fubfiance > cefi pourquoy aujfiil ne périt point -y mais que le corps humain , entant qu'il diffère des autres corps , nefi formé & compofé que d'njne certaine configuration de membres , & d'autres femblables Accidens j Et l'ame humaine au contraire nefi point ainfi compofée d'aucuns accidens , mais efi <vne pure fubfiance, Qar encore que tous fes accidens fe changent , par exemple y quelle conçoiue de certaines chofes 3 quelle en 'veuille d'au- très j quelle en fente d'autres ,$c. cefi pourtant toufiours U

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ABREGE'. s

[on de l'erreur ,ou fauffcté , O qui oit necejfiairement ejhre feu, tant four confirmer les vente; précédentes , que four mieux entendre celles qui fument. Jais cependant il efi x remarquer , que te ne traitte nullcmer.cn ce lieu-la du feche, cefi a dire de l'erreur qui fe commet en s la fourfuite du bien ç) du mal : mais feulement de celle ui arnue dans le Juge- ment , rJT fc difemement du iray yjr du faux. Et que te nentens peint y parler des cbofexjui appartiennent à U foy, ou à U conduite de U lie , ma< feulement de celles qui regardent les vente* fpcculattues ^ connues far ïajck^ de la fuie lumière naturelle,

TJans la cinquième , outre que L nature corporelle frife en gênerai y tfl expliquée , l'cxifieœ de Dieu y efi encore demonjbrée par de nouuelles raifons dans Icfquclles toutet- fou il fe peut rencontrer quelques ïfficultc'ï, mats qui fe- ront reflues dans les réponfes aux bjcélions qui mont efié faites ; Et aujji on y découure de qclle forte il efi njeritd- ble , que la certitude mefme des dwonfirativns Géométri- ques dépend de la connoijjance d'un )ieu.

Enfin , dans Ufxiéme , te difiinyc l'aflion de l'entende» ment d'auec celle de l'imagination j s marques de cette di~ fiinclion y font décrites y l'y monjlr que l'ame de l'homme efi réellement diflinéledu corps s & outesfois qu'elle luy eft fi étroitement conjointe & unie , qu'elle ne compofe que comme une mefme chofe auecque ly -, Toutes les erreurs qui procèdent des fensy font exposée, auec les moyens de les euiter y Et enfin l'y apporte toutes u raifons y dcfquclles on feut conclure l'exiftence des ebofes latericlles : Non que ie les luge fort utiles four frouuer ce d'elles frouucnt , a fa~

A iij

4 ABREGE'.

me fine ame : au lieu que le corps humain rieft plus le me fine > de cela fieul que la figure de quelque s-vne s de fies parties fi trouue changée ; D'où il s'enfuit que le corps humain peut facilement périr y mats que bejjrit , ou ïame de l'homme ( ce que ie ne difiingue point ) efi immortelle de fa nature.

Dans la troifiéme Méditation , il me fiemble que ïay expliqué affie^ au longle principal argument dont ie me fiers pourprouuer ïexifience de Dieu, Toutesfiots afin que ïefbrh du Leêleur fie pût plus aifement abflraire des fins , ie riay point voulu me feruir en ce lieu-là d'aucunes comparaifions tirées des chofiès corporelles , fi bien que peut-eftre il y efi de- meuré beaucoup d'obficurite^ , lefquelles > comme ïefherey feront entièrement éclaircies dans les réponfès que tay faites aux objeclions qui mont depuis efié proposées. Comme > par exemple y'd efi afife? difficile d'entendre, comment l'idée d'un efire fouuerainement parfait , laquelle fie trouue en nous* contient tant de realité objeéliue 3 çefià dure participe barre- prefintation à tant de degre^ à efire & de perfieélion , quelle doiue ntcejjairement venir d'orne caufie fiouuerainement parfaite -, Mais ie ïay éclaircy dans ces réponfès par la corn- paraifion d'rvne machine fort artificielle , dont l'idée fi ren- contre dans befifrit de quelque ouurier •, car comme bartifice objeclif de cette idée doit auoir quelque caufie , à fiauoir la feience de ï ouurier y ou de quelque autre duquel il l'ait aprifii: de mefime iUfl impojfible que b idée de Dieu qui efi en nous* nait pas Dieu mefme pour fia caufie.

Dans la quatrième , il efi proMué que les chofiès mie nous conceuons fort clairement & fort diflinélement font tou- tes vrayes : & en fiemble efi expliqué en quoy confijle U rai-

ABREGE'. $

fon de l'erreur , ou fauffieté ; Q qui doit neceffairement efire ïceu 3 tant four confirmer les njerite^ précédentes , que pour mieux entendre celles quifuiuent. Mais cependant il 'eft à remarquer y que ie ne traitte nullement en ce lieu-là dupechés ceft a dire de l'erreur qui Ce commet dans la poursuite du bien {0 du mal ; mais feulement de celle qui arriue dans le iuge* ment 3 ey le difcernement du vray '& du faux. Et que ie nentens point y parler des chofes qui appartiennent a U foy, ou à la conduite de la vie , mais feulement de celles qui regardent les vérité^ fpeculatiues , $ connues par ïayàe^ de la feule lumière naturelle,

TJans la cinquième , outre que la nature corporelle prife en gênerai y eft expliquée , Cexiftence de Dieu y eft encore demonfirée par de nouuelles raifons ; dans lefquelles toute** fois il fe peut rencontrer quelques difficulté^ mats qui fe- ront reflues dans les réponfes aux objections qui mont eftê faites ; Et aujfi on y découure de quelle forte il eft vérita- ble y que la certitude me fine des démon firations Géométrie ques dépend delà connoijjance d>run Dieu.

Enfin , dans lafixiéme , ie diftingue l'aélion de l'entende- ment d'auec celle de l'imagination $ les marques de cette di~ ftincliony font décrites \ l'y monftre que l'ame de l'homme efi réellement diftinéledu corps , & toutesfois qu'elle luy eft fi eftroitement conjointe & vnie , qu'elle ne compofe que comme vne me fine chofe auecque luy j Toutes les erreurs qui procèdent des fins y font exposée* , auec les moyens de les euiter -y Et enfin l'y apporte toutes les raifons , defquelles on peut conclure ïexiftencc des chofes matérielles : Non que ie les iuge fort njtiles pour prouuer ce quelles prouuent ^ a fça~

A iij

ê ABREGE'.

uoir,qu*ily a *vn Monde 3 que les hommes ont des corps ,\ & autres chofes femblables , qui nont iamais ejlé mi Ces en doute par aucun homme de bon Cens \ mais parce quen les con- Jiderant de prés , Ion vient à connoiflre quelles ne font pas ft fermes > nyfieuidentes que celles qui nous conduisent à la con- noijjance de Dieu , {0 de noflre amey En forte que celles-cy font le s plus certaine S) {0 les plus euidentes , quipmjjent tom- ber en la connoifjance de l'écrit humain. Et c'efl tout ce que ïay eu dejjein de prouuer dans ces fîx Méditations. Ce qui fait que tobmets icy beaucoup d'autres quejlions > dont, vay auljt parlé par occajion dans ce traitté.

MEDITATIONS

TOVCHANT LA PREMIERE

PHILOSOPHIE.

Dans le/quelles ïexiftence de Dieu , & la dift'm-*

fiion réelle entre ï Ame & le Corps

de l'homme font démonftrées.

PREMIERE MEDITATION.

Des chofes que ton peut reuoquer en doute.

L y a defîa quelque temps que ic me fuis apperceu , que dés mes premières années j'auois receu quantité de fauffes opinions pour véritables y & que ce que i'ay de- puis fondé fur des principes fi mal alTurez , ne pou- uoit eftre que fort douteux & incertain -7 de façon.

8 Méditation

qu'il me falloit entreprendre ferieufement vne fois en ma vie , de me défaire de toutes les opinions que i auois receuês iufqucs alors en ma créance, & com- mencer tout de nouueau dés les fondemens , fi ic vouloir eftablir quelque chofe de ferme, & de con- fiant dans les feiences. Mais cette entreprife me femblant eftre fort grande , i'ay attendu que ieufTe atteint vn âge qui fuft fi meur , que ie n'en peufTe efperer d'autre après luy auquel ie fuffe plus propre à l'exécuter: ce qui m'a fait différer fi long- temps , que déformais ie croirois commettre vne faute, iemployois encore à délibérer le temps qui me refte pour agir.

Maintenant donc que mon efprit cft libre de tous foins , & que ie me fuis procuré vn repos affuré dans vnepaifible folitudç , ic m'apliqueray ferieufement & auec liberté à deftruire généralement toutes mes anciennes opinions. Orilnefera pas neceffaire pour arriuer à ce deflein de prouuer qu'elles font toutes fauifes , dequoy peut- eftre ie ne viendrois iamais à bout j mais dautant que la raifon me perfuade def-ja, que ie ne dois pas moins foigneufement m empef- cher de donner créance aux chofes qui ne font pas entièrement certaines & indubitables , qu'à celles qui nous paroùTent manifeftement eftre fauiTes , le moindre fujet: de douter que i'y trouueray 3 fuffïra pour mêles faire toutes rejetter. Etpour cela il n'eft . pas befoin que ie les examine chacune en particu- lier , ce qui ferok d'vn trauail infiny i. mais parce

que

Première. 9

que laruïne des fondemens entraîne neceflairement auec foy tout le refte de l'édifice , ie m'attaqueray d'abordaux principes fur lefquels toutes mes ancien- nes opinions eftoient appuyées.

Tout ce que i'ay receu iufqu'à prefent pour le plus vray , & aiTuré , ie Pay appris des fens , ou par les fens : Or i'ay quelquefois éprouué que ces fens eftoient trompeurs , & il cft de la prudence de ne fe fier iamais entièrement à ceux qui nous ont vne fois trompez.

Mais encore que les fens nous trompent quelque- fois touchant les chofes peu fcnfibles, & fort éloi- gnées , il s'en rencontre peut-eftre beaucoup d'au- tres , defquelles on ne peut pas raifonnablement douter , quoy que nous les connoillîons par leur moyen; Par exemple, que ie fois icy, affis auprès du feu, veftu dvne robe de chambre , ayant ce papier entre les mains, & autres chofes de cette nature; Et comment eft-ce que ie pourrois nier que ces mains &cecorps-cy foientàmoy ? ficen'eft peut-eftre que ie me compare à ces infenfez , de qui le cerueau cft tellement troublé & offufqué par les noires vapeurs de la bile , qu'ils alTurent constamment qu'ils font des Roys, lors qu'ils font tres-pauures , qu'ils font veftus d'or & de pourpre, lors qu'ils font tousnuds, ou s'imaginent eftre des cruches , ouauoir vn corps de verre. Mais quoy ce font des fous , & ie ne ie- rois pas moins extrauagant, fi ie me reglois fur leurs exemples.

B

ïO Méditation

Toutcsfois i ay icy à confiderer que ie fuis hom- me, & parconfequent que i'ay coutume de dormir, & de me reprefenter en mesfonges les mefmcs cho- fes, ou quelquefois de moins ■vray-femblables , que ces infenfez , lors qu'ils veillent. Combien de fois m'cft-il arriué de fonger la nuit que i'eftois en ce lieu, que i'eftois habillé , que i'eftois auprès du feu , quoy que iefulTe tout nud dedans mon lie!:. Il me femblc bienàprefcnt que ce n'eft point auec des yeux en- dormis que ie regarde ce papier , que cette tefte que ie remue n'eft point aiToupie , que ccft auec deffein, & de propos délibéré que i'eftens cette main, &que iela fens, ce qui arriue dans le fommeil ne femble point fi clair, ny fi diftincl: que tout cecy. Mais en y penfant foigneufement ie me reiTouuiens d'auoir efté fouuent trompé , lors que ie dormois , par de femblables illufions. Et m'arreftant fur cette pen- fée ie voy fi manifeftement qu'il n'y a point d'indi- ces concluans , ny de marques aiTez certaines par l'on puiffe diftinguer nettement la veille d'auec le fommeil, quei'en fuis touteftonné , & mon efton- nementcftrel, qu'il eft prefque capable de meper- fuader que ie dors.

Suppofons donc maintenant que nous fommes endormis, & que toutes ces particularitez-cy, à fça- uoir, que nous ouurons les yeux , que nous remuons la tefte , que nous eftendons les mains, & chofes fem- blables, ne font que de fautfes illufions j Etpenfons <quepcut eftrenos mains, ny tout noftre corps , ne

Première.. rr

font pas tels que nous les voyons ; Toutesfois il faut au moins auoùerque les chofes qui nous font repre- fentées dans le fommeil , font comme des tableaux, & des peintures qui ne peuuentcftre formées qu a la reflemblancc de quelque chofe de réel, & de vérita- ble ; & quainfi pour le moins ces chofes générales , à fçauoir, des yeux, vnctefte, des mains, & tout- le refto du corps, ne font pas chofes imaginaires , mais vrayes, & exiltantes. Car de vray les peintres , lors mefmc qu'ils s'eftudient auec le plus d'artifice à reprefentef des Syrenes & des Satyres par des formes bijarres , & extraordinaires, ne leur peuuent pas toutesfois attri- buer des formes-, & des natures entièrement nouuel- les , mais font feulement vn certain mélange & corn- pofitiondes membres de diuers animaux ; ou bien fi peu t-eftre leur imagination eft affez extrauagante, pourinuenter quelque chofe de fi nouueau , que ia- mais nous n'ayons rien veu de femblable, & quainfi leur ouurage nous reprefente vne chofe purement feinte & abfoluëmcnt famTe ; certes à tout le moins les couleurs dont ils le compofent doiuent-elles eftre véritables.

Et par la mefmc raifon , encore que ces chofes géné- rales, à fçauoir, des yeux , vne tefte , des mains ,& autres femblables, peuifent eflre imaginaires: il faut toutesfois auoiier qu'il y a des choies encore plus fimples , & plus vniuerfelles, qui font vray es &exi- ftantes, du mélange defquelles , ne plus ne moins que de celuy de quelques véritables couleurs, toutes ces

ï2 Méditation

images des chofes qui refident en noftre penfée , foit vrayes & réelles , foit feintes & fantaftiques , font formées. De ce genre de chofes eft la nature corpo- relle en gênerai, & fon eftenduë' ;enfemble la figure des chofes eftendues, leur quantité ou grandeur, & leur nombre ; comme aufli le lieu elles font;, le temps qui mefurc leur durée, & autres femblables.

C'eftpourquoypeut-eftreque de nous ne con- clurons pas mal , fi nous difons que la Phyfique, l'A- ftronomie , la Médecine, & toutes les autres feien- ces qui dépendent de la confideration des chofes compofées, font fort douteufes & incertaines ; mais quel'Aritmetique, la Géométrie, & les autres feien- ces de cette nature , qui ne traittent que de chofes fort fimples.&fort générales , fans fe mettre beau- coup en peine fi elles font dans la nature, ou fi elles n'y font pas, contiennent quelque chofe de certain, & d'indubitable ', Car foit que ie veille, ou que ic dorme , deux & trois joints enfemble formeront toujours le nombre de cinq, & le quarré n'aura ia- mais plus de quatre codez -, Et il ne fcmblc pas pof- fîble que des veritez fi aparentes puiflent eftre foup- çonnées d'aucune fauffeté , ou d'incertitude.

Toutesfois il y a long-temps que i'ay dans mon cfprit vne certaine opinion, qu'il y a vn Dieu qui peut tout, & par qui i'ay cfté créé & produit tel que ie fuis : or qui me peut auoir afluré que ce Dieu n'ait point fait qu il ny ait aucune terre , aucun Ciel, au- cun corps eftendu, aucune figure, aucune grandeur,

Première. if

aucun lieu , & que neantmoins i'aye les fentimens de toutes ces chofes, & que tout cela ne mefemble point exifter autrement que ie le voy ? Et mefinc comme îeiuge quelquefois que les autres fe mépren* nent , mefme dans les chofes qu'ils penfent fçauoir auec le plus de certitude , il fe peut faire qu'il ait voulu que ie me trompe toutes les fois que ie fais l'addition de deux& de trois , ou que ie nombre les coftez d'vn quarré, ou que ie iugede quelque choie encore plus facile , fi l'on fe peut imaginer rien de plus facile que cela. Mais peut eftrc que Dieu n'a pas voulu queiefufTe deceu de la forte : car il eft dit fouuerainement bon ; Toutesfois fi cela repugnoit à fa bonté dem'auoir fait tel que ie me trompaf- fètoufiours , cela fembleroit aufli luy eftre aucune- ment contraire de permettre queie me trompe quel- quefois, & neantmoins ie ne puis douter qu'il ne le permette.

Ilyaurapeut-eftreicy des perfonnes qui aymeront mieux nierl'exiftence d'vn Dieu fi puifïant , que de croire que toutes les autres chofes font incertaines ; mais ne leur refiftons pas pour le prefent , & fuppo- fons en leur faueur que tout ce qui eft dit icy d'vn Dieu foit vne fable ; Toutesfois de quelque façon qu'ils fuppofent que ie fois paruenu à 1 eftat, & à 1 eftre que ie pofTede , foit qu'ils l'attribuent à quelque deftinou fatalité 3 foit qu'ils le réfèrent au hazard, foit qu'ils veuillent que ce foit par vne con- tinuelle fuite ôc liaifon des chofes : Il eft certain que

B iij

r^ Méditation

puifque faillir & fe tromper eft vne efpece dïmper- fedion, d'autant moins puiflant fera l'auteur qu'ils attribueront à mon origine, dautant plus fera- t'il pro- bable , que ie fuis tellement imparfait que ie me trompe toujours. Aufquelles raifons ie n'ay certes' rien à répondre, mais ie fuis contraint dauoiier, que de toutes les opinions que i'auois autrefois receues en ma créance pour véritables , il n'y en a pas vne de: laquelle ie ne puiffe maintenant douter , non par au- cune inconfideration ou légèreté, mais pour des rai- fons tres-fortes, & meurement confiderées : de forte qu'il eft neceflaire que i'arrefte & fufpende défor- mais mon iugement fur ces penfées -, & que ie ne leur donne pas plus de créance ., que ie ferois à des chofes qui me paroiftroient euidemment fauffes, je defire trouuerquelque.chofe.de conftant , &d'afr feuré dans les feiences; .

Mais il ne fufEt pas d'auoir fait ces remarques , il faut encore que ie prenne foin de m'en fouuenir : car ces anciennes ■■&<. ordinaires opinions me reuiennent encore fouuent en la penfée , le long & familier vfage qu'elles on t. eu auec moy leur donnant droit d'ocup- per mon efp rit contre mon gré , & de fe rendre pref- <jue maiftrenes de ma créance ; Et ie ne me defaccou- tumeray iamais d'y acquiefeer , & de prendre con- fiance en elles , tant que ie les confldereray telles qu'elles font -en effet , ceft à fçauoir en quelque- façon douteufes , comme ie viens de monftrer , & toutes- fois fort probables : en forte que Ton a beaucoup

Première. rr

plus de raifon de les croire que de les nier. Ceft pour- quoy ie penfe que i'en vferay plus prudemment , prenant vn party contraire , fcmployc tous me* foinsà me tromper moy- -mcfmc , feignant que tou- tes ces.p en fées font fauffes & imaginaires , iufquesà Ce qu'ayant tellement balancé mes préjugez qu'ils ne puiffent faire pancher mon aduis plus d vn cofté que d'vn autre, mon iugement ne foit plus déformais maiftrifé par demauuaisvfagcs, & détourné du droit chemin qui le peut conduire à la connoiflance de la vérité. Car ie fuis afTeuré que cependant il ne peut y auoir de péril ny d'erreur en cette voye , & que ie ne fçaurois aujourdhuy trop accorder à ma défiance, puis qu'il n'eft pas maintenant queftion d'agir , mais feulement de méditer & de connoiftre.

le fuppoferay donc qu'il y a , non point vn vray Dieu qui eft lafouueraine fource de vérité , mais vn certain mauuais génie non moins tufé & trompeur quepuiflant, qui a employé toute fon induflrie à me tromper. le penferay que le Ciel , l'air, la terre, les couleurs, les figures, lesfons, & toutes les chofes ex- térieures que nous voyons , ne font que des illufions & tromperies, dont il fefert pour furprendre ma cré- dulité, le me confidereray moy- mefme comme n'ayant point de mains, point d'yeux, point de chair, point de fang , comme n'ayant aucuns fens , mais croyant fauffement auoir toutes ces chofes -, le de- meureray obftinément attaché à cette penfée , & fi par ce moyen il n'elt pas en mon pouuoir de par uenir

iS Méditation

à la connoiflance d'aucune vérité , à tout le moins il eft en ma puifîance de fufpendre mon iugement; C'eftpourquoy ie prendray garde foigneufement de nepoincreccuoirenma croyance aucune faufTeté, & prepareray fi bien mon efprit à toutes les rufes de ce grand trompeur, que pour puiiTant & rufé qu'il foit, il ne me pourra iamais rien impofer.

Mais ce deiTein eft pénible & laborieux , & vne certaine parefle m'entraine infenfiblcment dans le train de ma vie ordinaire -, Et tout de mefme quvn efclaue qui jouiiïbit dans le fommeil dvne liberté imaginaire, lors qu'il commence à foupçonner que fa liberté n'eft quVnfonge, craint d'eftre reueillé, & confpire auec ces illufions agréables pour en eftre plus longuement abufé ; Ainfî ie retombe infenfi- blement de moy-mefme dans mes anciennes opi- nions, & i appréhende de me réueiller de cet afïbu- piflement -, De peur que les veilles laborieufes qui fuccederoient àlatranquilité de ce repos , au lieu de m'apporter quelque iour & quelque lumière dans la connoiflance de la vérité , ne fuffent pas fuififantes pour éclaircir toutes les ténèbres des difficultez qui viennent d'eftre agitées,

MEDITA-

17

MEDITATION

SECONDE.

De la nature de l'EFprit humain: Et qu'il efiflnt aysé a connoiftre que le Corps.

A Méditation que ie fis hier m'a remply i'efprit de tant de doutes , qu'il n'eft plus déformais en mapuiiTance de les oublier; Et cependant ie ne voypas de quelle façon ie les pouray refoudre ; & comme fi tout à coup i'eftois tobé dans vne eau très profonde, ie fuis tellement fur- pris, queienepuisny alfeurermes pieds dans le fond, ny nager pour me foutenrrau deiTus. le m'efTorceray neantmoins 3 & fuiuray derechef la mefme voye i'eftois entré hier , enm'éloignantde tout ce en quoy ie pouray imaginer le moindre doute , tout de mef- me que fi ie connoiffois que cela fuft abfolurrienc faux i & ie continuëray toufiours dans ce chemin,

C

iS Méditation

iufqu a ce que i'aye rencontré quelque chofe de cer- tain, ou du moins , fi ie ne puis autre chofe iufqu'à ce que i aye apris certainement , qu'il n'y a rien au monde de certain.

Archimedes pour tirer le Globe terreftre de fa place , & le tranfporter en vn autre lieu , ne demandoit rien qu'vn point qui fuft fjxe &.aiTuré. Ainfi îauray droit de conceuoir de hautes efperances , fi ic fuis affez heureux pour trouuer feulement vne chofe qui toit certaine & indubitable.

le fuppofe donc que toutes les chofes que ie voy font faunes ; ïe me perfuade que rien n'a iamais elle de tout ce que ma mémoire remplie de menfonges me reprefenteî le penfe n'auoir aucun fens ; Iecroy que le corps , la figure , l'étendue, le mouuement , & le lieu ne font que des fictions de mon Efprit ; qu'eft ce donc qui pouraeftreeftimé véritable l peut eftre rien autre chofe , finon qu'il n'y a rien au monde de certain.

Mais que fçay-je s'il n'y a point quelque autre cho- fe différente decelles que ie viens de iuger incertaines, de laquelle on ne puifTe auoir le moindre doute ? N'y a- t'il point quelque Dieu , ou quelque autre puiiîancc qui me met en îefpric cespenfées? Cela n'eft pas ne- ceffaire , carpeut-eftre que ie fuis capable de les pro* duiredemoy-mefme. Moy doncà tout le moins ne fuis- je pas quelque chofe ? Mais i ay def-ja nié que feuffe aucun fens j ny aucun corps ; le hefite néant- moins: car que s'enfuit-il delà > fuis- je tellement dé- pendant du corps & des fens , que ie ne puiffe eftre

Seconde. , 19

faits eux? Mais ie me fuis perfuadé qu'il n'y auoit rien du tout dans le monde , qu'il n'y auoit aucun ciel , au- cune terre , aucuns efprits, ny aucuns corps , ne me fuis-je donc pas auffi perfuadé que ie n'eftois point? Non certes a feftois fans doute fi ie me fuis perfuadé, ou feulement fi i'ay penfé quelque chofe ; mais il y a vn ienefçay quel trompeur très- puifTant & très rufé, qui employé toute fon induftrie à me tromper tou- fiours j il n'y a donc point de doute que ie fuis , s'il me trompe \ & qu il me trompe tant qu'il voudra, il ne fçauroit iamais faire que ie ne fois rien , tant que ie penferay eftre quelque chofc : De forte qu après y auoir bien penfé , & auoir foigneufemcnt examiné toutes chofes: Enfin il faut conclure , & tenir pour confiant , que cette propofition , le fuis y ïexifte, eft neceflaircmcnt vray c , toutes les fois que ie la pronon- ce, ou que ie la concoyenmonEfprit.

Mais ie ne connois pas encore afîez clairement ce que ie fuis, moy qui fuis certain que ie fuis: De forte que déformais il faut que ie prenne foigneufement garde de ne prendre pas imprudemment quelque au- tre chofe pour moy, & ainfi de ne me point méprendre dans cette connoiffancç , que ie fou tiens eftre plus certaine & plus euidente que toutes celles que i'ay eues auparauant.

Ceft pourquoy ie confidereray derechef ce que croyois eftre auant que ïentraffc dans ces dernières penfées -, & de mes anciennes opinions ie retrancheray tout cequipeut-eftrecombatuparlesraifons que i'ay

C ij

20 Méditation

tantoft alléguées , en force qu'il ne demeure precife- ment rien que ce qui eft entièrement indubitable. Qu'eft-ce donc que i'ay creueftrecy-deuant ? fans dif- ficulté i'ay penfé que i'eftois vn homme ; mais qu'eft- ce qu'vn homme ? Diray-je que c'eft vn animal raifon- nable? non certes, car il faudroit par après recher- cher ce queceft qu'animai, & ce que c'eft que raifon- nable, &ainfi dvne feule queftion nous tomberions infènfiblement en vne infinité d'autres plus difficiles &embaraffées,&ie.ne voudrois pas abuferdu peu de temps & de loifirquimerefte, en l'employant à dé- meflerde femblables fubtilitez: Maisie m'arrefteray -pluftoftàconfiderer icy lespenféesquinaiffoient cy- deuantd'elles-mefmes en mon efprit, & qui ne me- ftoient infpirées que de ma feule nature , lors que ie m'apliquois à la confideration de mon eftre. le me confiderois premièrement comme ayant vn vifage, des mains, des bras ,& toute cette machine compoiée d'os, & de chair, telle qu'elle paroift en vn cadarre, laquelle iedefignois par le nom de corps ■, le confide- rois outrîecela, que iemenouriiTois,queiemarchois, queiefentois^&queiepenfois , &ie raportois toutes ces actions à lame j mais ie ne rri'arreftois point àpen- fer ce queceftoit que cette Ame , ou bien fi ie m'y arreftois, rimaginois quelle eftoit quelque chofe ex- trêmement rare ôc fubtile , comme vn vent , vne flame,ou>vn air très délié qui eftoitinfinué& répan- du dans mes plus groflieres parties. Poi^r ce qui eftoit du corps, ie ne doutois nullement de fa nature, car

Seconde. 21

ic pcnfois la connoiftre fort diftinclement , & fi ic l'cuiTe voulu expliquer fumant les notions que l'en auois, ie PeufTe décrite en cette forte. Par le corps ien- tens tout ce qui peut eftre terminé par quelque figure, qui peut eftre compris en quelque lieu, & remplir VA efpace en telle forte que tout autre corps en foit exclus: qui peuteitrefenty ou par l'attouchement, ou par la veuë, ou par l'ouyc , ou par le gouft, ou par l'odorat: qui peut eftre meu en plufieurs façons , non par luy- mefme,mais par quelque choie d'étranger duquel il foittouché,&dont il reçoiue Pimpreflion; Car d'a- uoir en foy lapuilTancc de fe mouuoir, defentir, Se de penfer, ie ne croyois aucunement que Pon deuft attribuercesauantagesàla nature corporelle, aucon- traire iemeftonnoisplutoft de voir que de femblables facultezferencontroienten certains corps.

Mais moy qui fuis- je maintenant que ic fupofe qu'il y aquelqu'vn, qui eft extrêmement puilTant, & fi ie l'ofe dire malicieux & rufé , qui employé toutes fes forces & toute fon induftric à me tromper ? puis-jc , m'aiTurer d'auoir la moindre de toutes les chofes que i'ay attribué cy-delTus à la nature corporelle ? le m'a- refte à y penfer auec attention , ie paife & repaffe tou- tes ces chofes en mon efprit , & ie n'en rencontre au- cune que iepuiffe dire eftre en moy. Il n'eftpas befoin que ie marrefte à les dénombrer. PaiTons donc aux attributs de PAme , & voyons s'il y en a quelques- vns qui foient en moy. Les premiers font de me nourir , ÔC de marcher j mais s'il eft vray que ie n'ay point de

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Meàtation

tantoft alléguées , en fortequil ne demeure precife- ment rien que ce qui efbntierement indubitable. Qu'eft-ce donc que fay cre eftrecy-deuant ? fans dif- ficulté iay penfé que i eftes vn homme ; maisqueft- ce qu vn homme ? Diray-jejue c'eft vn animal raifon- nable? non certes, car il audroit par après recher- cher ce queceft qu'anima. &cequeceft que raifon- nable, &ainfi dvne feulepcftion nous tomberions infenfiblement en vne inhité d'autres plus difficiles &embaraiTées,&iene vodrois pas abuferdu peu de temps & de loifirquimerfte, en l'employant à dé- meilerde femblables fubtitez: Maisie m'arrefteray •pluftoftàconfiderer icy lepenféesquinaifloient cy- deuant d'elles- mefmes en ion efprit, & qui ne m'e- ftoient infpirées que de m feule nature , lors que ie m'apliquois à la confidercion de mon élire, le me confîderois premieremen comme ayant vn vifage, des mains , des bras , & tous cette machine compoiée d'os, & de chair, telle qu'île paroift en vn cadarre, laquelle iedefignois par lcnom de corps •, Ieconfide- rois outriecela, que ieme.ourilTois^ueie marchois, queiefentois^&queiepeifois ; &ie raportois toutes ces actions à famé j mais iene rriarreftois point à pen- fer ce queceftoit quecett Ame , ou bien fi ie m'y arreftois,iïmaginoisque eeftoit quelque chofe ex- trêmement rare & fubti: , comme vn vent , vne flame,ou>vn air très deliéqui eftoitinfinué & répan- du dans mes plus groflierc parties. Pou,r ce qui eftoit du corps, ie ne doutois mllement ue (a nature, car

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Seco,

21

WÊiCf-

ic penfois la connoiftre firt diftinclcmcnt , & fi ie l'eu lie voulu expliquer fuiant les notions que i'en auois, îcl'eufle décrite en etee forte. Par le corps i'en- tens tout ce qui peut eftre teminc pat quelque figure, qui peut cltre compris en qclque lieu, & remplir vft eipace en telle forte que toi autre corps en foit exclus: qui peut eftre fenty ou par attouchement , ou par la veue, ou par louve , ou p. le gouft, ou par l'odorat: qui peut eftre meu en pluhurs façons, nonparluy- mefme,mais par quelque ho(e d étranger duquel il lbittouché,&dont il repaie l'imprcffion; Car d'a- uoir en foy lapuiiïance de e mouuoir, defentir, &c de penfer, ie ne croyois acunement que Ton deuil: attribuer ces auantages à la nture corporelle ; au con- traire icm'eftonnoisplutoi de voir que de fcmblables facultezferencontroient e certains corps.

Mais moy qui fuis- je raintenant que ie fupofe qu'ily aquelqu'vn, qui eftxtrememcnt puiffant, & ii ie lofe dire malicieux & r , qui employé toutes fes forces & toute fon induft;e à me tromper ? puis-jc , m'aflurer d auoir la moind: de toutes les chofes que i'ay attribue cy-deiTus à la ature corporelle ? le m'a- refte à y penfer auec attent )n , ie paife & repaiTe tou- tes ces chofes en mon efpr , & ie n'en rencontre au- cune que îepuiiîe dire eftre î moy. Il n'eftpas befoin que ie marrefte à les den nbrer. PafTons donr ~~ attributs de l'Ame, & voy is s"' qui foient en moy. Les prei ie de marcher ; mais s'il eft

22 Méditation

corps, il eft vray auffi queic ne puis marcher, ny me nourir. Vn autre eft de fentir; mais on ne peut auffi fentir fans le corps, outre que i'ay penfe fentir autre- fois plufîeurschofes pendant le f5meil,quci'ay recon- nu à monreueil n'auoir point en effet fenties. Vn au- tre eft de penfer;& ie trouue icy quelapenféeeft vn attribut qui m'appartient. Elleleule ne peuteftre dé- tachée de moy , ie fuis 3 ïexifle, cela eft certain; Mais combien de temps? àfçauoir autant de temps que ie penfe ; car peut-eftre fe pouroit-il faire fi ie ceffois de penfer > que ie cefferois enmefme temps d'eftre 3 ou dexifter: le n'admets maintenant rien qui ne foitne- ceffairement vray : le ne fuis donc precifement parlant qu'vne chofe qui penfe ,ceft à dire vnEfprit,vn En- tendement, ou vne raifon, qui font des termes dont lafignification m'eftoit auparauant inconnue. Orie fuis vne chofe vraye , & vrayement exiftante ; mais quelle çhofefiel'ay dit, vne chofe qui penfe. Et quoy dauantage? l'exciteray encore mon imagination pour chercher fi ie ne fuis point quelque chofe de plus* le ne fuis point cet aiTemblage de membres , que l'on ap- pelle lecorps humain: le ne fuispoint vn air délié ôc pénétrant répandu dans tous ces membres, ie ne fuis point vn vent, vn fouffle , vne vapeur , ny rien de tout ce que ie puis feindre & imaginer 3 puis que i ay fupofé <jue tout cela n'eftoit rien, & que fans changer cette fupofition , ie trouue que ie ne laifle pas d'eftre certain •queie fuis quelque chofe.

Mais auffi peut-il arriuer que ces mefmes chofes^

Seconde. 2/

que ie fuppofe n eftrc point parce quelles me font in- connues, ne font point en effedt différentes de moy que ie connois? le n'en fçay rien , ie ne difpute pas maintenant de cela ; ie ne puis donner mon iugemenc que des chofes qui me font connues : f ay reconnu que i'eftois , & ie cherche quel ie fuis , moy que i'ay recon- nu eftre : Or il eft très-certain que cette notion & con- noiffance de moy-mefme ainfi precifement prife,* ne dépend point des chofes dont l'cxiftence ne m'eft pas encore connue: ny parconfequent, & à plus forte raifon d'aucunes de celles qui font feintes & inuentées par l'imagination. Et mefmcs ces ternUsde feindre & d'imaginer m'auertiffent de mo erreur. Car ie feindrois en effet fi i'imaginois eftre quelque chofe, puis que imaginer n'eft au tre chofe que contempler la figure, ou 1 image d'vne chofe corporelle. Or ie fçay des-ja certainement que ie fuis,& que tout enfemble il fe peut faire que toutes ces images- là, & généralement toutes les chofes que Ton rapporte àla nature du corps, ne foientque des fonges ou des chimères: en fuitte de-* quoy ie voy clairement que iaurois auffi peu de raifon, en difant. l'exciteray mon imagination pour con- noiftre plus diftin&ement qui iefuis ; que fi ie difois, ie fuis maintenant éueillé, & faperçoy quelque chofe de réel & de véritable, mais parce que ie ne laperçoy pas encore affez nettement, ie mendormiray tout exprés, afin que mes fonges mereprefentent cela mef- me auec plus de vérité & d'euidence. Et ainfi ie recon- nois certainement que rien de tout ce que ie puis corn-

2^. Méditation

prendre par le moyen de l'imagination , napartient à cette connoiflanec que i'ay de moy-mefme -, & qu'il eft befoin de rapeller & détourner foncfpritde cette fa- çon de conceuoir, afin qu'il puiffe luy-mefmerecon- noiftre bien diftin&ement fa nature.

Mais qu'eft ce donc que ic fuis ? vne chofe qui pen- fe. queft-ce qu'vne chofe qui penfe ? c'eft à dire vne chofe qui doute, quiconçoit, qui affirme, qui nie , qui veut, qui ne veut pas, qui imagine au fli, & qui fent. Certes ce n'eft pas peu fi toutes ces chofes apartiennent à ma nature. Mais pourquoy n'y apartiendroient- clles pas ? Ne^uis-je pas encore ce mefme qui doute prefque de tout , qui neantmoins entens & conçoy certaines chofes, qui affure & affirme celles-là feules eftre véritables, qui nie toutes les autres, qui veux & deiîre d'en connoiftre dauantage , qui ne veux pas élire trompé , qui imagine beaucoup de chofes mefme quelquefois en dépit que i'enaye, &qui enfensaufïî beaucoup comme par l'entremife des organes du * corps. Y a-t'il rien de tout celaqui nefoit aufli vérita- ble qu'il eft certain queie fuis, & que i'exifte, quand mefme ie dormirois toujours , & que celuy qui m'a donné l'eftrefe féru iroit de toutes fes forces pour m'a- bufer? Y a-t'il auffi aucun de ces attributs qui puiffe eftre diftingué de ma penfée, ou qu'on puiffe dire eftre feparc de moy-mefme } Car il eft de foy fi euident que c'eft moy qui doute, qui entens, & qui defire , qu'il n'eft pas icy befoin derienadjoufter pour l'expliquer. Et i ay aufli certainement la puiffance d'imaginer : Car

encore

Seconde. 2?

encore qu'il puiffe arriuer (comme i'ay fupofé aupa- ravant ) que les chofes que l'imagine ne foient pas vrayes, neâtmoins cette puifTance d'imaginer ne lailTe pas d'eftre réellement en moy,& fait partie de ma pen- iée : Enfin ie fuis le mefmc qui fens , c'eft à dire qui rc- çoy &connoisles chofes comme par les organes des fens : puis qu'en eftet ic voy la lumière ,i'oy le bruit, ie reflens la chaleur. Mais l'on me dira que ces ap- parences font fauffes , & que ic dors. Qu'il foie ainii , toutesfois à tout le moins il cft très- certain qu'il me femble que ie voy, quei'oy,& que ie m'é- chauffe , 8c c'eft: proprement ce qui en moy s'apcl- le fentirj & cela prisainfiprecifemcntneft rien autre choie que penfer : D'où ic commence à connoiftre quel ie fuisauec vn peu plus de lumière & de diftin- ékion que cy-deuant.

Mais ie ne me puis empefeher de croire que les cho- fes corporelles , dont les images fe forment par ma penfée, &qui tombent fous les fens , ne foient plus difrinclement connues que cette ie ne fçay quelle par- tie de moy- mefme qui ne tombe point fous, l'imagi- nation : Quoy cju'en effet ce foit vne chofe bien étran- ge, que des chofes que ie trouue douteufes, 8c éloi- gnées, foient plus clairement & plus facilement con- nues de moy, que celles qui font véritables & certai- nes, 8c qui appartiennent à mapropre nature. Mais ie Voy bien ce que c'eft, monefpritfeplaifl: de s'égarer, & ne fe peut encore contenir dans les iuftes bornes de la vérité. Relâchons- lu y donc encore vne fois la

D

26 Méditation

bride, afin que venant cy-apres à la retirer doucement & à propos , nous le puiflîons plus facilement régler & conduire.

Commençons par la confideration des chofes les plus communes, & que nousj croyons comprendre le plus diftinclx ment, à fçauoir les corps que nous tou- chons & que nous voyons. le nentens pas parler des corps en gênerai, car ces notions générales font d'or- dinaire plus confufes, mais dequelquvn en particu- lier. Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient deftre tiré delà ruche, il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenoit , il retient encore quelque chofe de l'odeur des fleurs dont il a efté re- cueil ly ; fa couleur, fa figure, fa grandeur, font appa- rentes : il eft dur > il eft froid , on le touche , & fi vous le frappez, il rendra quelque fon. Enfin toutes les chofes qui peuuent diftin&ement faire connoiftre vn corps, fe rencontrent en celuy-cy.

Mais voicy que cependant que ie parle on l'apr©-1 chedufeu, ce quiyreftoit de faueur s'exalc , l'odeur s'éuanoiïit, fa couleur fe change, fa figure fe perd , fa grandeur augmente, il deuient liquide, il s échauffe, àpeinele peut-on toucher, &quoyqu on le frappe il ne rendra plus aucun fon : La mcfme cire demeure- telle après ce changement? Il faut auoùer quelle de- meure, & perfonne ne le peut nier. Qujeft-ce donc que Ton connoilToit en ce morceau de cire auec tant 4c diftinction? Certes ce ne peuteftre rien de tout ce «jue i'y ay remarqué par lentrcmife des fens, puis que

Seconde. z?

toutes leschofes qui tomboient fous legouft, ou l'o- dorat, ou lavcuë , ou rattouchement , ou l'ouye fe trouuent changées 3 ôc cependant la mefme cire de- meure. Peut-eftrc eftoit-ce ce que ie penfe mainte- nant , à fçauoir que la cire neftoit pas y ny cette dou* ceur du miel, ny cette agréable odeur des fleurs, ny cette blancheur, ny cette figure, ny ce fon, mais feu- lement vn corps qui vn peu auparauant me paroiiîoit fous ces formes, & qui maintenant fe fait remarquer fous d'autres. Mais qu eft-ce precifément parlant que i'imagine, lors que ie la conçoy en cette forte? Confi- derons-le attentiuement, & éloignant toutes lescho- fes qui n'appartiennent pointa la cire, voyons ce qui refte Certes il ne demeure rien que quelque chofe d'eftendu, de flexible & demuablc: Or qu'eft-eeque cela flexible ôc muable ? n'eft ce pas que i'imagine que cette cire eftant ronde eft capable dedeuenirquarrée, & de paffer du quarré en vne figure triangulaire } non- certes ce n'eft pas cela, puis que ie la conçoy capable de receuoir vne infinité de femblables changemens^ & ie ne fçaurois neantmoins parcourir cette infinité par mon imagination, Ôc par confequent cette conce- ption que i'ay de la cire ne s'accomplit pas par la facul- té d'imaginer.

Qu/ft-ce maintenant que cette extenfion 5 n'eft- clle pas auffi inconnue ? Puis que dans lacire qui fe fond elle augmente , ôc fe trouue encore plus grande quand elle eft entièrement fondue, & beaucoup plus encore quand la chaleur augmente dauantage; &ienecon-

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28 Méditation

ccurois pas clairement & félon la vérité ce que c'eft que la cire > ie ne penfois qu'elle eft capable dcreceuoir plus de varietez félon l'extenfion, que ie n'en ay iamais imaginé. Il faut donc que ie tombe d'accord, que ic ne fçaurois pas mefme conceuoir par l'imagination ce que c'eft que cette cire, & qu'il n'y a que mon en- tendement feul quileconçoiue, le dis ce morceau de cire en particulier , car pour la cire en gênerai il cil encore plus euident : Or quelle cfV cette cire qui ne peuteftre conceue que par l'entendement ou l'efprit? Certes c'eft la mefme que ie voy , queie touche, que i'imagine, & la mefme que ie connoilTois dés le com- mencement i Mais ce qui eft à remarquer, fa perce- ption, oubienl'a&ion par laquelle on l'aperçoit n'eft point vne vifion,ny vn attouchement , ny vne imagi- nation, & ne l'a iamais efté,quoy qu'il le femblaft ainfi auparauant, mais feulement vne infpe&ion de l'efprit, laquelle peut eftrc imparfaite &confufe, comme elle eftoit auparauant, ou bien claire cV diftin&c, comme elle eft àprefent , félon que mon attention fe porte plus ou moins aux chofes qui font en elle , & dont elle eft compofée.

Cependant ie ne me fçaurois trop étonner, quand ie conudere combien mon efprit a de foibleffe , & de pente qui le porte infenfiblement dans l'erreur ; Car encore que fans parler ie confidere tout cela en moy- mefme, les paroles toutesfois m'arreftent , & iefuis prefque trompé par les termes du langage ordinaire: Car nous difons que nous voyons la mefme cire fi on

Seconde. 29

nous la prefente,&non pas que nous iugeons quec'eft la mcfmc , de ce quelle a mefme couleur & mefmc figure; d'où ie voudrois prefque conclure, que Ton connoift la cire par la vifïon des yeux, & non par la feule infpedion de l'efprit : Si par hazard ie ne rcgar- dois d'vne feiîcftre des hommes qui pafTent dans la rué" , à la veuë defquels ie ne manque pas de dire que ic voy des hommes , tout de mefme que ie dis que ie voy delacire , & cependant que voy-jcde cette feneftre* fînon des chapeaux & des manteaux , qui peuuent couurir des fpe&res ou des hommes feints qui ne fe remuent que par reflors, mais ie iuge que ce font de vrais hommes j & ainfiie comprens par la feule puif- fanec de iuger qui refide en mon efprit , ce que ic croyoisvoirdemcs yeux.

Vn homme qui tafche d eleuer fa connoilTancc au delà du commun doit auoir honte de tirer des occa- fîons de douter des formes & des termes de parler du vulgaire ; i ayme mieux pafler outre y ôc confiderer ie conceuois auec plus d'euidenec & de perfection cequeftoitlacire5lorsqueie l'ay d'abord apperceuë, & que iay creu la connoiftre par le moyen des fens extérieurs, ou à tout le moins du fens commun ,ainfï qu'ils appellent, ccft à dire de la puilTance imagina- tiue , que ie ne la conçoy à prefent après auoir plus exactement examiné ce qu elleeft, & de quelle façon elle peut cftre connue ; Certes il feroit ridicule de mettre cela en doute , car qui auoit-il dans cette première perception qui fuft diftin£t & éuident, &

D iij

Méditation

qui nepouroitpas tober en mcfme forte dans fens du moindre des animaux? Mais quand iediftmgue la cire daucefes formes extérieures, & que tout de mef- me que fi ie luy auoisofté fes veftemens, ie laconfi- dere toute nue , certes quoy qu'il fc puiffe encore rencontrer quelque erreur dans mon iugement , ic ne la puis conceuoir de cette forte fansvn efprit hu- main.

Mais enfin que diray-jc decétefprit, ceft à dire de moy-mefme : car iufques icy ie n'admets en moy au- tre chofe qu'vn Efprit \ que prononceray- je , dis- je, de moy qui femble conceuoir auec tant de netteté , Ôc de diftin&ion ce morceau de cire? ne meconnois-jepas moy- mefme , non feulement auec bien plus de vérité & de certitude , mais encore auec beaucoup plus de diftin&ion &de netteté? Carfiieiuge que la cire eft, ouexifte,de ce que ie la voy ^Certes il fuit bien plus cuidemment que ie fuis , ou que i'exifte moy- meime^ de ce que ie la, voy : Car il fe peut faire que ce que ic voy ne foit pas en effet delà cire, il peut aufli arriuer que ic n'aye pas mefme des yeux pour voir aucune chofe > mais il ne fe peut pas faire que lors que le voy^ ou ( ce que.ic ne diftingue plus ) lors que iepenfe voir, que moy qui penfe ne fois quelque chofe, De mefme ie iuge que la cire exifte, de ce que ie la touche , il s'enfuiura encore la mefme chofe , à fçauoir que ic fuis : & fi ie le iuge de ce que mon imagination me le* perfiiade , ou de quelque autre caufe que ce foit , ie concluray.toufiours la mefme chofe. Etcequeiay re-:

Seconde: * $*

marque icy de la cire , fe peut apliquer à toutes les au- tres chofes qui me font extérieures , & qui fe rencon-^ trent hors de moy.

Or fi la notion & la connoifTance de la cire fem- ble eftre plus nette & plus diftincTx , après qu elle a efté découuerte non feulement par la veuë , ou par l'attouchement , mais encore par beaucoup d'autres caufes; auec combien plus d'euidencejdediftindhon & de netteté , me dois- je connoiftre moy-mefme: Puis que toutes les raifons qui feruent à connoiftre, & conceuoir la nature de la cire , ou de quelque au- tre corps, prouuent beaucoup plus facilement & plus euidemment la nature de mon cfprit. Et il fe rencon- tre encore tant d'autres chofes en l'efpritmcfme, qui peuuent contribuer à leclairciiTement de fa nature, que celles qui dépendent du corps , comme celles- cy , ne méritent quafi pas d'eftre nombrées.

Mais enfin me voicy infenïiblement reuenu ic voulois , car puis queceft vne chofe qui m'eft à pre- fent connue , qu'à proprement parler nous ne con- ccuons les corps que par la faculté d'entendre <jui efl en nous , & non point par l'imagination ny par les fens , & que notfs ne les connoiiTons pas de ce que nous les voyons , ou que nous les touchons , mais feulement de ce que nous les conceuons par la pen- fée5 ie connois euidemment qu'il n'y a rien qui me foit plus facile à connoiftre que mon efprit. Mais parce qu'il eft prefque impoflible de fe deffaire promptement d'vne ancienne opinion a il fera borx

$2 Méditation

que ie m'arrefte vn peu en céc endroit, afin que par la longueur de ma méditation , i 'imprime plus pro- fondement en ma mémoire cette nouuelle con- noiflance.

MEDiTATION

//

MEDITATION

TROISIEME.

De Dieu , quil exifie,

E fcrmeray maintenant les yeux, iebou- cheray mes oreilles , ie détoun^^ ; «-ous mes fens , i'enV ,fèf flfièâflrft; de ma penféc toutes les r nages des chofes corporelles, ou du moins , parce qu'à peine cela fe peut-il faire,, ie les reputeray co'arne vaines & comme faulTes , ÔC ainfi m'entretenanc feulement moy-mefme , & con- fîderant mon intérieur , ie tafeheray de me rendre peu à peu plus connu ,& plus familier à moy mefme. ie fuis vne chofè quipenfe5ccftàdire qui doute, qui affirme , qui nie , qui connoift peu de chofes , qui en ignore beaucoup , qui ayme5 qui haït J qui veut, qui ne veut pas , qui imagine aulTi,& qui fent. Car,ainiî que i'ay remarqué cy-deuant i qûoy que les chofes que ie fens & que ilmagine ne foient peut-eftre rien du

y./. Méditation

tout hors de moy , Se en elles- mefmes,ie fuis néant- moins affuré que ces façons de penfer, que i appelle fentimens <k imaginations, entant feulement quelles font des façons de penfer, refident &fe rencontrent certainement en moy. Et dans ce peu que ie viens de dire, ie croy auoir rapporté tout ce queie fçay véri- tablement , ou du moins tout ce que iufques icy i'ay remarqué que ie fçauois.

Maintenant ie confidercray plus exactement fi peut- eftrc il ne fe retrouue point en moy d'autres connoif- fances queie n'aye pas encore appercèues. le fuis cer- tain que ie fuis vne chofe qui penfe, mais ne fçay-je donc pas auiTi ce qui eft requis pour me rendre certain de quelque chofe î Dans cette première connoifTance il ne fe rencontre rien qu'vne claire. & diftin&e per- ception de ce que ie connois ; laquelle de vray ne feroit pas fuflFifar**. ^nn*- m'affurer qu'elle eft vraye, s'il pouuoit iamais arriuer, ^Vne chofe que ie con- ceurois ainiî clairement & diftn(ftcmenc fe trouuaft Fauffe : Et partant il me femble l^k des-jaie puis efta- blir pour règle générale , que toutes les chofes que nous conceuons fort clairement & f orr, diftin&ement font toutes vrayes.

Toutesfois i'ay receu & admis cy- de uant plufieurs chofes comme très-certaines & tres-manifeftes , lef- quelles ncantmoins i'ay reconnu par après eftre dou- teufes & incertaines : Quelles eftoient donc ces chofes- là? Ceftoit la Terre, le Ciel, les Aftres , & toutes les autres chofes que i'apperceuois par lentremife de mes

Troijîeme. ^y

fens ; Or qu'eft-cc que ie conceuois clairement & diftin&ement en elles ? Certes rien autre chofefinon que les idées ou les penfées de ces chofes fe prefen- toient à mon efprit. Et encore à prefent ic ne nie pas que ces idées ne fe renconttent en moy. Mais il y auoit encore vne autre chofe que iaflurois , & qu a caufe de l'habitude quefauoisà la croire, ie penfois apperceuoir tres-clairement ,quoy que véritablement ie ne lapperceufle point , à fçauoir qu'il y auoit des chofes hors de moy , d'où procedoient ces idées } & aufquelles elles elloient tout à fait femblables -, & ce- ftoit en cela que ie me trompois, ou, fi peut cftre ic iugeois félon la vérité, ce n'eftoit aucune connoifTan- ce que i'euffe, qui fuft caufe delà vérité de mon iu> gement.

Mais lors que ieconfiderois quelque chofe de fort fimple, & de fort facile touchant l'Arithmétique &la Géométrie, par exemple, que deux& trois ioints en- fembleproduifent le nombre de cinq, & autres chofes femblables , ne les conceuois- je pas au moins affez clairement pour affurer qu'elles eftoient vrayes? Certes fi i'ay iuge depuis qu'on pouuoit douter de ces choies, ce n*a point efte pour autre raifon, que parce qu'il me venoitenl'efprit, que peut eftre quelque Dieu auoit pu me donner vne telle nature, que ie metrompaffe mefrae touchant les chofes qui me femblent les plus manifeftes;Mais toutes les fois que cette opinion cy- deuant conceuëde la fouueraine puiffance d'vn Dieu fe prefente à ma penfée , ie fuis contraint d auoùer^

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$6 J\/feditatwn

qu'il luy eft facile , s'il le veut, de faire en forte que ie m'abufe, mefme dans les chofes que ie croy eonnoi- ftre auec vne cuidence très grande : Et au contraire toutes les fois que ie me tourne vers les chofes que ie penlc conceuoir fort clairement, ie fuis tellement perfuadé par elles , que de moy- mefme ie me laiffe emporter a ces paroles; Me trompe qui poura, fi efl> te qu'il ne fçauroit iamais faire, que ie ne fois rien, tandis que ie penferay eftre quelque chofe ; ou que quelque iour il foit vray que ie n'aye iamais efté , c- ftant vray maintenant que ie fuis ; ou bien que deux & trois ioints cnfemble faffent plus ny moins que cinq, ou chofes femblables , que ie voy clairement ne pou- uoir eftre d'autre façon que ie les conçoy.

Et certes puifque ie n'ay aucune raifon de croire qu'il y ait quelque Dieu qui foit trompeur , & mefme que ie n ay pas encore confideré celles qui prouucnt qu'il y a vn Dieu, la raifon de douter qui dépend feu- lement de cette opinion eft bien légère, & pour ainfî dire Metaphyfique. Mais afin de la pouuoir tout à fait ofter , ie dois examiner s'il y a vn Dieu , fi- toft que loccafion s'en prelentera; &fiie trouuequ'ily en ait vn, iedois aulli examiner s'il peut eftre trompeur, car fans la connoiffance de cesdeuxveritez,iencvoy pas que ie puiife iamais eftre certain d'aucune chofe. Et afin que ie puifle auoir occafion d'examiner cela fans interrompre l'ordre de méditer que ie me fuis propofe, qui eft de paffer par degrez des notions que ie trouue- ray les premières en mon efprit, à celles que i'y pouray

Troifîème. 37

trouucr par après : Il faut icy que iediuife toutes mes penfées en certains genres , & que ic confidere dans lcfquels de ces genres il y a proprement de la vérité ou

de Terreur.

Entre mes penfées quelques- vnes font comme les images des chofes, & c'eft à celles feules que con- uient proprement le nom d'idée: Comme lors que ie me rcprelcnte vn homme, ou vne Chimère , ou le Ciel, ou vn Ange , ou Dieu mefme ; D'autres outre cela ont quelques autres formes, comme lors que ie veux, que que ie crains, que i affirme, ou que ie nie, îeconçoy bien alors quelque chofe, comme le fujet del'a&ion de mon efprit , mais i'adjoute aufli quelque autre chofe par cette action à l'idée que i'ay de cette chofe-là : & de ce genre de penfées les vnes font appellées volontez ou affections , & les autres iugemens.

Maintenant pour ce qui concerne les idées , fi on les confidere feulement en elles- mefmeSj & qu'on ne les rapporte point à quelque autre chofe , elles ne peuuent à proprement parler eftre fauffes : Car foit que l'imagi- ne vne Chèvre, ou vne Chimère, il n'eft pas moins vray que i'imagine lvnc que l'autre.

Il ne faut pas craindre aufïi qu'il fe puiffe rencontrer dclafauffetédansles affe&ions ou volontez : car en- core que ie puiffe defirer des chofes mauuaifes , ou mefme qui ne furent iamais, toutesfoisil n'eft pas pour cela moins vray que ie les defirc.

Ainfi il ne refte plus que les feuls iugemens, dans lefquels ie dois prendre garde foigneufement de ne me

Eiij

5*

Méditation

point tromper; Or la principale erreur, & la plus or- dinaire qui s'y puifTe rencontrer , confifte en ce que ie iuge que les idées qui font en moy , fontfemblables ou conformes à des chofes qui font hors de moy ; Car cer- tainement fi ie confiderois feulementles idées comme de certains modes ou façons de ma pentée > fans les vouloir rapporter à quelque autre chofe d'extérieur , à peine me pouroient-elles donner occafion défaillir. Or de ces idées lcsvnesme femblentcftre ne'esauec moy , les autres eftre étrangères & venir de dehors, & les autres eftre faites & inuentées par moy mefme: Car que i'aye la faculté dcconceuoircequec'eftqu'on nomme en gênerai vue chofe, ou vne vérité, ou vne penfée, il mefemble que ie ne tiens point cela d'ail- leurs que de ma nature propre ; Mais fi i'oy mainte- nant quelque bruit, fiie voy le Soleil, fiiefens delà chaleur, iufqu a cette heure i'ay iugé que ces fentimens procedoient quelques chofes qui exiftenthors de moy; Et enfin il mefemble que IesSyrenes,les Hypo- grifes , & toutes les autres femblablcs Chimères font des fi&ios & inuentions de mon efprit.Maisauffi peut- eftre me puis je perfuader, que toutes ces idées font du genre de celles quei'apelle étrangercs,& qui viennent de dehors , ou bien qu'elles font toutes nées auec moy^ ou bien qu'elles ont toutes efté faites par moy: car ie n'ay point encore clairement découuert leur vérita- ble origine. Et ce que i'ay principalement à faire en cet endroit, eft de confiderer, touchant celles qui me ièmblent venir de quelques objets qui font hors de

Troijîeme. 39

m oy , quelles font les raifons qui m'obligent à les croi- re femblables à ces objets.

La première de ces raifons eft qu'il me femble que cela m 'eft enfeigné par la nature j &la féconde que f ex- périmente en moy-mefme que ces idées ne dépendent point de ma volonté , car louuent elles feprefentent àmoy malgré moy, comme maintenant foitqucielc veuille, foit que ie ne le veuille pas, ie fens de la chaleur, &pour cette caufe ie me perfuade que ce fentiment* ou bien cette idée de la chaleur eft produite en moy parvnechofe différente de moy, àfçauoirparla cha- leur du feu auprès duquel ie me rencontre. Et ie ne voy rien qui me femble plusraifonnable, que de iugerque cette chofe étrangère cnuoyc & imprime en moy fa reflemblancc pluftoft qu'aucune autre chofe.

Maintenant il faut que ie voye fi ces raifons font affez fortes & conuaincantes. Quand ie dis qu'il me femble que cela m'eft enfeigné parla nature, i'entens feulement par ce mot de nature vne certaine inclina- tion qui me porte à croire cette chofe , & non pas vnc lumière naturelle qui me face connoiftre qu'elle eft vraye: or ces deux chofes différent beaucoup entr'elles: Carie ne fçaurois rien reuoquerendoutede ce que la lumière naturelle me fait voir eftrc vray , ainlî qu'elle m'a tantoft fait voir , que de ce que ie doutois , ie pou,- uois conclure que i'eftoisr.Et ie n'ay en moy aucune autre faculté , bu puiffance , pour diftinguer le vray du faux , qui me puiffe enfe igner que ce que cette lumière me montre comme vray ne left pas, Çc à qui ie me

/^o Méditation

puifîe tant fier qu'à elle. Mais pour ce qui eft des incli- nations qui mefemblent aulTi m'eftre naturelles, i'ay fouuent remarqué lors qu'il a efté queftion de faire choix entré les vertus & les vices, quelles ne in ont pas moins porté au mal qu'au bien , c'eft pourquoy le n'ay pas fujet de les fuiure non plus, en ce qui regarde le vray & le faux.

Et pour l'autre raifon , qui eft que ces idées doiuent venir d'ailleurs, puis qu'elles ne dépendent pas de ma volonté, ie ne latrouuenon plus conuaincante : car tout de mefmeque ces inclinations, dont ie parlois tout maintenant fe trouuent en moy , nonobftanc qu'elles ne s'accordent pas toufiours auec ma volonté, ainfi peut-eftre qu'il y a en moy quelque faculté ou puiiTance propre à produire ces idées fans l'ayde d'au- cunes chofes extérieures, bien qu'elle ne me foit pas encore connue: comme en effet il m'a toufiours fem- bléiufquesicy, que lors que ie dors, elles fe forment ainfi en moy fans l'ayde des objers qu'elles reprefen- tent. Et enfin encore que ie demeuraile d'accord qu'el- les font caufées per ces objets , ce n'en: pas vne confe- quence neceffairc qu'elles doiuent leur élire fembla- b'.es j au contraire i'ay fouuent remarqué en beaucoup d'exemples qu'il y auoit vne grande différence entre l'objet & fon idée;Gomme,par exemple,ie trouuc dans mon efprit deux idées du Soleil toutes diuerfes-, Ivnc tire fon origine des fens, & doit eftre placée dans le genre de celles que i'ay dit cy-deffus venir de dehors, par laquelle il me paroift extrêmement petit -, l'autre eft

prife

Troijïi

fieme. jj

prife des raifons de rAftronomie, c'eftà dire de cer- taines notions ne'esauecmoy , ou enfin eft formée par moy- mefme de quelque force que ce puiffe eftre, par laquelle il me paroift plufieurs fois plus grand que toute la terre; Certes ces deux idées que ie conçoy du Soleil ne peuucnt pas eftre tous deux femblables au mefme Soleil, & laraifon me fait croire, que celle qui vient immédiatement de fon apparence, eft celle qui luy eft le plus diffemblable.

Tout cela me fait afTez connoiftre que iufqucs à cet- te heure ce n'a point eftépar vn iugement certain & prémédité, mais feulement parvne aueuglc & témé- raire impulfion, que fay creuquily auoitdes chofes hors de moy, & différentes de mon eftre, qui par les organes de mes fens, oli par quelque autre moyen que ce puiffe eftre , enuoyoient en moy leurs idées ou ima-, ges, & y imprimoient leurs reffemblanccs.

Mais il fe prefente encore vne autre vove pour re- chercher fi entre les chofes dont i'ay en moy les idées, il y en a quelques-vnes qui exiftent hors de moy. A fçauoir, fi ces' idées font prifes entant feulement que ce fontdecertainesfaçonsdepcnfer, ie nereconnoisen- tr'elles aucune différence ou inégalité, & toutes fem- blent procéder de moy dVne mefme forte ; mais les confîderant comme des images , dont les vncs repre- fentent vne chofe, & les autres vne autre-, Il eft eui- dent quelles font fort diferentes les vnes des autres^ Car en effet celles qui me reprefentenr des fubftances, font fans doute quelque chofe déplus, & contiennent

F

4-2 Méditation

en foy ( pour ainfi parler ) plus de réalité objectiue^ ceftà dire participent par reprefentation à plus dede- grez d'eftre ou de perfc&ion , que celles qui me repre- fentent feulement des modes ouaccidens; De plus cel- le par laquelle ie conçoy vn Dieufouucrain, éternel, infini,immuable,toutconnoiiTant, tout puiifant, 6c Créateur vniuerfel de toutes les chofes qui font hors de luy y Celle-là , dis-je , a certainement en foy plus de realité obje&iue , que celles par qui les fubllances fi- nies mefontreprefentées.

Maintenant ceft vne chofe manifefte parla lumiè- re naturelle qu'il doit y auoir pour le moins autant de réalité dans la caufe efficiente & totale que dans fon cfTecl;: Car d'où eft-ce quel'effecl: peut tirer fa realité lînon de fa caufe ? &comment*cet te caufe la luy pou- roit-elle communiquer , elle ne l'auoit en elle- mefme?

Et delà il fuit , non feulement que le néant ne fçau- foit produire aucune chofe , mais auflî que ce qui eft plus parfait , ceft à dire qui contient en foy plus de rea- lité , ne peut eftre vne fuite & vne dépendance du moins parfait : Et cette vérité n'eftpas feuîementclaire & euidente dans les effets qui ont cette realité que les Philofophes appellent actuelle ou formelle y mais auflî dans les idées, ou l'on confidere feulement la realité qu'ils nomment obje&iue; Par exemple, la pierre qui n'a point encore efté, nonfeulement ne peut pas main- tenant commencer d'eftre,fi elle n'eft produitte par vne chofe qui poifede en foy formellement, ou emi-

Troifîème. ^

iiemment , tout ce qui entre en lacompofitiondela pierre , c'eft à dire qui contienne en foy les mefmes chofes, ou d'autres plus excellentes que celles qui font dans la pierre i & la chaleur ne peut eflre produite dans vn fujet qui en eftoit auparauant priué , fi ce n'eft par vne chofe qui foit d'vn ordre, d'vn degré, ou d'vn gen- re au moins auffi parfait que la chaleur , & ainfi des au- tre ; Mais encore outre cela l'idée de la chaleur, ou de la pierre, ne peut pas eftre en moy , fi elle n'y a efté mife par quelque caufe, qui contienne en foy pour le moins autant de realité, que i'enconçoy dans la cha- leur, ou dans la pierre : Car encore que cette caufe- ne tranfmette en mon idée aucune chofe de fa realité actuelle ou formelle, on ne doit pas pour cela s'imaoi- ner que cette caufe doiue eftre moins réelle i mais on doit fçauoir que toute idée eftant vn ouuragedel'ef- prit , fa nature eft telle qu'elle ne demande de foy aucu- ne autre realité formelle, que celle qu elle reçoit & em- prunte delà penféc, ou dcl'efprit, dont elle eft feule- ment vn mode, c'eft à dire vne manière ou façon de penfer. Or afînqu'vne idée contienne vne telle realité objediue plutoft qu'vne autre, elle doit fans doute auoir cela de quelque caufe , dans laquelle il fc rencon- tre pour le moins autant de realitéformelle, que cette idée contient de réalité obje&iue-, Car fi nousfupo- fonsquilfe trouue quelque chofe dans l'idée, qui ne fe rencontre pas dans fa caufe , il faut donc qu'elle tien- ne cela du néant ; mais pour imparfaite que foit cette façon d'eftre, par laquelle vne chofe eft objediuement

jùL Méditation

ou par reprefentation dans l'entendement par fon idée , certes on ne peut pas neantmoins dire que cette façon & maniere-là ne foit rien, ny par confequenc que cette idée tire fon origine du néant. le ne dois pas auffi douter qu'il ne foit neceiTaire que la realité foit formellement dans les caufes de mes idées > quoy que la realité que ie confidere dans ces idées foit feulement objectiue, ny penfer qu'il fuffit que cette réalité fe ren- contre obie&iuement dans leur caufes \ Car tout ainfi que cette manière d'eftre obie&iuement , appartient aux idées deleur propre nature , de mefme auiti la ma- nière ou la façon d'eftre formellement , appartient aux caufes de ces idées tout le moins aux premières ôc principales ) de leur propre nature : Et encore qu'il puiffearriuer qu'vne idée donne la naiiTance à vne au- tre idée, cela ne peut pas toutesfois eftjre à Tinfiny ,mais il faut à la fin paruenir à vne première idée, dont la caufe foit comme vn patron ou vn original, dans le- quel toute la realité ou perfedion, foit contenue for- mellement & en effet , qui fe rencontre feulement ob- iedbiuement ou par reprefentation dans ces idées. En forte que la lumière naturelle me fait connoiftre eui- demment, que les idées font en moy comme des ta- bleaux, ou des images, qui peuuent à la vérité facile- ment déchoir de la perfection des chofes dont elles ontefté tirées, mais qui ne peuuent iamaisrien con- tenir de plus grand ou de plus parfait.

Et d aatant plus longuement & foigneufement i'exa- mine toutes ces chofes â dautant plus clairement & di-

Troifii

ihne. ^f

ftinctemcnt ic connois qu elles font vrayes. Mais enfin que'concluray- je de tour cela ? C'eft à fçauoir, que fi la realité obie&iue de quelquvne de mes idées eft telle, queicconnoiife clairement qu'elle n'eft point enmoy ny formellement, ny éminemment , & que par confis- quent ic ne puis pas moy-mefmc en eftre lacaufc:ll luit delà neceflairement que ie ne fuis pas feul dans le monde, mais qu'il y a encore quelque autre chofe qui exilte, & qui eft la eau fe de cette idée^au lieu que s'il ne fe rencontre point en moy de telle idée , ie n'auray au- cun argument qui me puiffe conuaincre , & rendre cer- tain de l'exiftence d'aucune autre chofe que de moy- mefme , car ie les ay tous foigneufement recherchez, & ien'enay peu trouuer aucun autre iufqu'à prefent.

Or entre ces idées, outre celle quimereprefente à moy-mefme, de laquelle il ne peut y auoiricy aucune difficulté^ y en a vne autre qui me reprefente vn Dieu, d'autres des chofes corporelles &inanimées,d'autres des Anges , d'autres des animaux , & d'autres enfin qui me reprefententdeshommesfemblablesàmoy.Maispour ce qui regarde les idées qui me reprefentent d'autres hommes , ou des Animaux , ou des Anges , ie conçoy facilement qu'elles peuuent eftre formées par le mé- lange & la compofitiondes autres idées que i'ay des chofes corporelles , & de Dieu , encores que hors de moy il n'y euft point d'autres hommes dans le mondes ny aucuns Animaux , ny aucuns Anges. Et pour ce qui regarde les idées des chofes corporelles, ien'yrecon- nois rien de fi grand ny de fi excellent qui ne me fem,

F iij

4.6 Méditation

blc pouuoir venir de moy mefme ; Car fi ie les confide- re de plus prés , &c fi ie les examine de la mefme façon que i'examinay hier l'idée de la cire, ietrouue qu'ilne s'y rencontre que fort peu de chofe que ieconçoiue clairement, & diftin&enient, à fçauoir, la grandeur ou bien 1 excenfion en logueur, largeur & profondeur; la figure qui eft formée par les termes & les bornes de cette cxteniîon -Ja fituation que les corps diuerfement figurez gardent entreux > & le mouuement ou le chan- gement de cette fituation > aufquelles on peut adjouter la fubftance ,1a durée, & le nombre. Quant aux autres chofes, comme la lumière, les couleurs, lesfonsj les odeurs, les faueurs , la chaleur, le froid, & les autres qualitcz qui tombent fous l'attouchement, elles fe ren- contrent dans ma penfée auec tant d'obfcurité & de confufion, que i'ignore mefme fi elles font véritables, ou faulTes & feulement apparentes j c'eft à dire fi les idées que ie conçoy de ces qualitez, font en effet les idées de quelques chofes réelles > ou bien fi elles ne me reprefentent que des eftres chymeriques, quinepeu- uent exifter. Car encore que i'aye remarqué ey deuant, qu'il n'y a que dans les iugemens que fepuiûe rencon- trer la vraye & formelle fauffeté, il fe peut ncantmoins trouuer dans les idées vne certaine fauffeté matérielle, à fçauoir, lors quelles reprefentent ce qui n'eft rien, comme fi c'eftoit quelque chofe: par exemple, les idées que i'ay du froid & de la chaleur font fi peu claires & fi peu diftin&es , que par leur moyen ie ne puis pas dif- cerner fi le froid eft feulement vnc priuation delà

Troijieme. 4.7

chaleur, ou la chaleur vue priuation du froid , ou bien fi l'vne& l'autre font des qualitcz réelles, ou elles ne le font pas-, &dautant que les idées eftant comme des images , il n'y en peut auoir aucune qui ne nous femble rxprefenter quelque chofe , s'il eft vray de dire que le froid ne foit autre chofe qu vne priuation delà chaleur, l'idée qui me le reprefentecome quelque chofe de réel, & de pofitif, ne fera pas mal à propos appellée fauf- Te; & ainfi des autres femblables idées : aufquelles certes il n'eft pas neceffaire que l'attribue d'autre autheur que moy-mefme ; Car fi elles font fauffes, c'eft à dire fi elles reprefentent des chofes qui ne font point, la lu- mière naturelle me fait connoiftre qu'elles procèdent du néant , c'eft à dire qu'elles ne font en moy, que parce qu'il manque quelque chofe à ma nature ., & qu'elle n'eft pas toute parfaite. Et fi ces idées font vrayes, neantmoins parce quelles me font paroiftre fi peu de réalité , que mefme ie ne puis pas nettement difeerner la chofe reprefentée , d'auec le non cftre, ie ne voy pointde raifon pourquoy elles ne puiffent eftrc pro- duites par moy-mefme , & que ie n'en puifïe eftrc l'auteur.

Quant aux idées claires & diftin&es que i ay des chofes corporelles, il y en a quelques- vnesqu il fem- ble que i'aye pu tirer de l'idée quei'ay de moy-mefme, commecelle que iay de la fubftance , de la durée , du nombre, &d'autrcs chofes femblables ; Car lors: queie penfc que la pierre eft vne fubftance , ou bien vne cho- fe qui de foy eft capable d'exifter } puis que iefuis vnc

4*

Méditation

fubftance, quoy que ie conçoiue bien que iefuis vnc chofe qui penfe, & non étendue ; & que la pierre au contraire eft vne chofe étendue,& qui ne penfe point, &quainfi entre ces deux conceptions il le rencontre vne notable différence itoutesfois elles femblent corw- uenir en ce quelles reprefentent des fubftances ; De mcfme quand ie penfe que ie fuis maintenant, & que ie me refTouuiens outre cela d'auoir cfté autresfois, & que ieconçoyplufieursdiuerfespenféesdont icconnois le* nombre, alors l'acquiers en moyles idées de la durée &du nombre, lcfquelles par après ie puis transférera toutes les autres chofes que ie voudray.

Pour ce qui eft des autres qualitez*dont les idées des chofes corporellcsfontcompofées, à fçauoir l'étendue, la figure , la fituation , & le mouuement de lieu ., il eft vray qu'elles ne font point formellement en moy, puis que ie ne fuis quVne chofe qui penfe -, Mais parce que ce font feulement de certains modes de la fubftan- ce, & comme les veftemens fous lefquels la fubftance corporelle nous paroift, & que iefuis auffi moy-mef- me vne fubftance, il fcmble qu elles puilîent cftre con- tenues en moy éminemment.

Partant il ne refte que la feule idée de Dieu , dans la- quelle il faut confiderer s'il y a quelque chofe qui n'ait pu venir de moy-mefme. Par le nom de Dieu fentens vne fubftance infinie , éternelle , immuable , indépen- dante, toute connoiffante, toute puiflante, & par la- quelle moy-mefme, & toutes les au très chofes qui font (s'il eft vray qu'il y en ait qui exiftent^ont efté créées

& pro-j

Troijîefme. 49

& produites. Or ces auantages font fi grands & fi emi- nens, que plus attentiuement ie les confidcre, & moins ie me perfuade que l'idée que fen ay puifle tirer fou origine de moy feul. Et par confcqucnt il faut ne- ceflaircmcnt conclure de tout ce que i'ay dit aupara- uant,queDieu exiftc : car encore que l'idée delà fub- ftancc foit en moy, décela mefme que ie fuis vnefub- ftance, ie n'aurois pas neantmoins l'idée d'vne fub- ftancc infinie, moy qui fuis vn eftre finy, fi elle na- uoit efté mife en moy par quelque fubftanccqui fut véritablement infinie.

Et ie ne me dois pas imaginer que ie ne conçoy pas l'infiny par vne véritable idée, mais feulement parla négation de ce qui eft finy , de mefme que ie corn- prens le repos & les ténèbres , par la négation du mouuement & de la lumière : Puis qu'au contraire ie voy*manifcftemcnt qu'il fc rencontre plus de réa- lité dans la fubftancc infinie, que dans la fubftancc finie , & partant que i'ay en quelque façon premiè- rement en moy la notion de l'infiny , que du finy, c'eft à dire de Dieu, que de moy-mcfmc : Car com- ment feroit-il poflible que ic peuffe conribiftre que ie doute, & que ie defirc, c'eft à dire qu'il me man- que quelque chofe, & que ic ne fuis pas tout parfait, fi ie n'auois en moy aucune idée d'vn eftre plus par- fait que le mien , par la comparaifon duquel ic con- noiftrois les défauts de ma nature?

Et Ton ne peut pas dire que peut- eftre cette idée de Dieu eft matériellement faufle, & qus par con~

G

/a Méditation

fequent ie la puis tenir du néant, c'eft à dirc^ qu'el- le peut eftreen moy pource queiay du défaut, com- me i'ay dit cy-deuant dess idée de la chaleur & du froid, & d'autres chofes femblablcs : Car au contrai- re, cette idée eftant fort claire & fort diftin&e, & contenant en foy plus de realité obie&iue qu'aucu- ne autre, il n'y en a point qui foit de foy plus vraye, jiy qui puiiTe élire moins foupçonnée d'erreur & de faulîeré.

L'idée dis-je de cet eftre fouuerainemcnt parfait & infiny eft entièrement vraye: car encore que peut- eftre l'on puiffe feindre qu'vn tel eftre n'exifte point, on ne peut pas feindre neantmoins que fon idée ne me reprefente rien de réel, comme i'ay tantoft dit de l'idée du froid.

Cette mefmc idée eft aufïî fort claire & fort diftin&e, puis que tout ce que mon efprit conçoit claifemenc & diftinctement de réel & de vray , & qui contient en foy quelque perfection, eft contenu & renfermé tout entier dans cette idée.

Et cecy ne laifîe pas d'eftre vray , encore que ic ne comprenne pas l'infiny, ou mefme qu'il fc ren- contre en Dieu vne infinité de chofes que ie ne puis comprendre, ny peut-eftre aufli atteindre aucune- ment par la penfée : car il eit de la nature de l'infi- ny, que ma nature qui eft finie & bornée ne le puif- fe comprendre^ il fuffit que ic conçoiue bien ce- la, & que ic iuge que toutes les chofes que ie conçoy clairement, & dans lefquelles ie fjay qu'il y a quei^

Troijîefme. yi

que perfection, & peut-eftre auffi vnc infinité d'au- tres que l'ignoreront en Dieu formellement ou émi- nemment, afin que l'idée que fenay foit la plus vraye, la plus claire , & la plus diftincte de toutes celles qui font en mon efprit.

Mais peut-eftre aufli queic fuis quelque chofe de plus que ie ne m'imagine, & que toutes les perfe- ctions que i'attribuë à la nature d'vn Dieu, font en quelque façon en moy en puilTancc, quoy quelles ne fe produifent pas encore, & ne fe facent point paroiftre par leurs actions : En effet l'expérimente défia que ma connoifTance s'augmente & fe perfe- ctionne peu à peu , & ie ne voy rien qui la puiffe empefeher de s'augmenter de plus en plus iufques à l'infiny , puis eftant ainfi accreuë & perfectionnée , ie ne voy rien qui cmpefche que ie ne puiffe mac- quérir par fon moyen toutes les autres perfections de la nature Diuine; & enfin il femblc que la puif- fance que ï ay pour l'acquifîtion de ces perfections , fi elle eft en moy , peut eftre capable d'y imprimer & d'y introduire leurs idées. Toutcsfois en y regar- dant vn.peu de prez,ic reconnois que cela ne peut- eftre ; car premièrement encore qu'il fuft vray que ma connoifTance acquift tous les iours de nouucaux degrez de perfection, & qu'il y euft en ma nature beaucoup de chofes en puiffance, qui n'y font pas en- core actuellement : Toutesfois tous ces auantages n'appartiennent & n approchent en aucune iorte de ridée quei'ay de laDminité, dans laquelle rien ne

fz Méditation

Q rencontre feulement en puifTancc, mais tout y cil actuellement & en erîect. Et mcfme n'eft-ce pas vn argument infaillible & très-certain d'imperfection en ma connoiifance, de ce qu'elle s'accroift peu à peu, & quelle s'augmente par degrez: Dauantage , encore que ma connoifTance s'augmentait de plus en plus , neantmeins ie ne lailTe pas de conceuoir quelle ne fçauroit eftre actuellement infinie, puis quelle nar- riuera iamais àvnfi haut point de perfection , quel- le ne foit encore capable d'acquérir quelque plus grand accroiffement. Mais ic conçoy Dieu actuel- lement infiny en vn haut degré , qu'il ne fe peut rien adioufter à la fouueraine perfection qu'il pofle- de. Et enfin ie comprens fort bien que l'eltrc obje- ctif dVne idée ne peut eftre produit par vn eftre qui exiite feulement en puiiTance ,. lequel à proprement parler n'eft rien 3 mais feulement par vn eftre formel ou actuel.

Et certes ie ne voy rien en tout ce que ic viens de dire, qui ne foit tres-aifé à connoiftre par la lumiè- re naturelle à tous ceux qui voudront y penfer foi- gneufement ) mais lors que ie relâche quelque cho- ie de mon attention, mon efprit fe trouuant obfcur- cy, & comme aueuglé par les images desefrofes fen- fiblcs, ne fe rcfTouuient pas facilement delà raifon pourquoy l'idée que i'ay d'vn eftre plus parfait que le mien, doit necciîairement <auoir cité mife en moy, par vn eftre qui foit en effet plus parfait. Ceft pourquoy ie veuxicy paffer outre,& confiderci

Troifîème. yj

fimoy-mefme qui ay cette idée de Dieu ie pourrois eftre, en cas qu'il n'y euft point de Dieu. Et ie de- mande, de qui aurois-je mon exiftence ? peut-eftre de moy-mefmc, ou de mes parcns, ou bien de quel- ques autres caufes moins parfaites que Dieu 5 car on ne fe peut rien imaginer de plus parfait ny mefme d'égal à luy.

Or fi i eftois indépendant de tout autre , & que ie fufTe moy-mcfme l'auteur de mon cftre, certes ie nedouterois d'aucune chofe,ie ne conceurois plus de defirs, & enfin il ne me manqueroit aucune perfe- ction: car ie me ferois donné moy-mefmc toutes celles dont i'ay en moy quelque idée, & ainfi ie fe- rois Dieu.

Et ie ne me dois point imaginer que les chofes qui me manquent font peut-eftre plus difficiles à ac- quérir, que celles dont ie fuis défia en pofTeifionj car au contraire il eft très-certain , qu'il a efté beau- coup plus difficile, que moy, c'eft à dire vne chofe ou vne fubftance qui penfe, fois iorty du néant, qu'il ne me feroit d'acquérir les lumières & les connoiffan- ces de plufieurs chofes que i'ignore, & qui ne font que des accidens de cette fdbftance ; Et ainfi fans difficulté fi ie m'eftois moy-mefme donné ce plus que ie viens de dire , c eft à dire fi i'eftois 1 auteur de manaifTance, & de mon exiftenca, ie ne me ferois pas priué au moins des chofes qui font de plus faci- le acquifition , à fçauoir, de beaucoup de connoifTan- ces dont ma nature eft dénuée : le ne me ferois pas - " G iij

/^. Méditation

priué non plus d'aucune des chofes qui font conte- nues dans l'idée que ie conçoy de Dieu, parce qu'il n'y en a aucune qui me femble de plus difficile acqui- fîcion } & s'il y en auoit quelqu'vne , certes elle me paroiftroit telle (fuppofc que-i'euffe de moy toutes les autres chofes que ie poffede ) puis que i'experi- menterois que ma puiffanecs'y termineroit, & ne fc~ roit pas capable d'y arriuer.

Et encoreque ie puiffefuppoferquc-pcut-eftrei'ay toufiours efté comme ie fuis maintenant, ie ne fçau- rois pas pour cela euiterlaforce de ce ^aifonnement, & ne laiffe pas de connoiftre qu'il eft neceffaire que Dieu foit l'auteur de mon exiftence •> Car tout le temps de ma vie peut cftre diuifé en vne infinité de par- ties, chacune defquelles ne dépend en aucune façon des autres, & ainfi de ce qu'vn peu auparauant- iay efté, il ne s'enfuit pas que ie doiue maintenant eftre, fi ce n'eft qu'en ce moment quelque caufe me pro- duife, & me crée, pour ainfi dire, derechef, c'eft à dire me conferue.

En effet c'eft vne chofe bien claire & bien euiden- te ( à tous ceux qui confidereront auec attention la na- ture du temps ) qu'vne fubftancc pour cftre conier- uée dans tous les momens qu'elle dure, à befoin du mefme pouuoir & de la mefme action , qui feroit neceffaire pour la produire & la créer tout de nou- ucau , fi elle n'eftoit point encore. En forte que la lumière naturelle nous fait voir clairement, que la çonferuation & la création ne différent qu'au regard

Troifîènte. /7

de noftrc façon de pcnfer,& non point en effet. Il faut donc feulement icy que ie m'interroge moy-mef me, pour fçauoir fi ic poffede quelque pouuoir & quelque vertu, qui foit capable de faire en forte que moy qui fuis maintenant, fois encor à l'auenir : Car puis que ie ne fuis rien qu'vne chofe qui penfe ( ou du moins puisqu'il nesagit encor iufques icy preci- fément que de cette partie-làde moy-mefme) fi vne telle puifTance refidoit en moy , certes ie deurois à tout le moins le penfer, & en auoir connoiflance j mais ie n'en reiTens aucune dans moy,& par làiecon- nois éuidemment que ie dépens de quelque eftre dif- férent de moy.

Peut- eftre aufli que cet eftre-là duquel ie dépens, n'eft pas ce que l'appelle Dieu,& que ie fuis produit ou par mes parens, ou par quelques autres caufes moins parfaites que luy ? tant s'en faut, cela ne peut eftre ainfi ; Car comme i'ay défia dit auparauant .,c'eft vne chofe tres-euidente qu'il doit y auoir au moins au- tant de réalité dans la caufe que dans fon effet : Et partant puis q«c ie fuis vne chofe qui penfe, & qui ay en moy quelque idée de Dieu quelle que foit j enfin la caufe que. l'on attribue à ma nature, il faut neceffairement auolier qu'elle doit pareillement eftre vne chofe qui penfe, & poffeder en foy l'idée d$ toutes les perfections que l'attribue à la nature DU uine. Puis l'on peut derechef rechercher fi cette cau- fe tient fon origine & fon exiftenec de foy mcfme3 ou de quelque autre chofe : Car fi elle la tient de

$6 Méditation

foy-mefme, il s'enfuit par les raifons que iay cy-de- uantalleguées, qu'elle mefme doit eftre Dieu: puis qu'ayant la vertu d'eftre ôc d'exifter par foy , elle doit aufïi auoir fans doute la puifîancede poifedera&ucl- lement toutes les perfections dont elle conçoit les idées, c'eft à dire toutes celles que ieconçoy cftrc en Dieu. Que fi elle tient fon exiftence de quelque au- tre caufe que de foy, on demandera derechef par la mefme raifon de cette féconde caufe, fi elle eft par foy, ou par autruy,iufques à ce que de degrezende- grez on paruienne enfin à vne dernière caufe, qui fe trouuera eftre Dieu. Et il eft tres-manifefte qu'en cela il ne peut y auoir de progrez à l'infiny, veu qu'il ne s'agit pas tant icy de la caufe qui ma produit au- tresfois , comme de celle qui me conferue prefente- ment. On ne peut pas feindre auflî que peut-eftre plufieurs caufes ont enfcmble concouru en partie à ma production, ôc que de l'vne i'ay receu l'idée d'v- ne des perfections que i'attribuë à Dieu , & d'vne autre l'idée de quelque autre , en forte que toutes ces perfections fe trouucnt bien à la vericc quelque parc dans rVniuers, mais ne fe rencontrent pas toutes iointes Ôc aifemblées dans vne feule qui foit Dieu : Car au contraire Tvnité, la (implicite, ou Hnfeparabi- lité de toutes les chofes qui font en Dieu, eft vne des principales perfections que ie conçoy eftre en luy $ ôc certes l'idée de cette vnité ôc affcmblagede coûtas les perfections de Dieu, n'a peu eftre mife en moy par aucune caufe, de qui ie n'aye point auflî receu

les

*

\troifieme. /7

les idées de toutes les autres perfections ; Gar elle ne peut pas me" les auoir fait comprendre enfemblement iointes,& infeparables , fans auoir fait en forte en mefme temps que ie feeuffe ce qu'elles eftoient, &c que ie les connufle toutes en quelque façon.

Pour ce qui regarde mes parens defquels il femblc que ie tire ma naiffance, encore que tout ce que l'en ay iamais peu croire foit véritable, cela ne fait pas tou- tesfois que ce foit eux qui me conferuent , ny qui m'ayent fait & produit en tant que ie fuis vne cho- fe qui penfejpuis qu'ils ont feulement mis quelques difpofïtions danscette matière , en laquelle ie iuge que moy, c'eft à dire mon Efprit, lequel feul ie prens main- tenant pour moy-mefme, fe trouue renfermé -, & par- tant il ne peut y auoir icy à leur égard aucune diffi- culté, mais il faut nécessairement conclure que de ce- la feul que i'exifte, & que l'idée d'vn eftre fouueraine- ment parfait ( c'eft à dire de Dieu ) eft en moy ,1'exi- ftence de Dieu eft très euidemment demonftrée. .

Il me refte feulement à examiner de qu'elle façon i'ay acquis cette idée : Car ie ne l'ay pasreceuë parles fens ,& iamais elle ne s'eft offerte à moy contre mon attente, ainfi que font les idées des chofes fenfibles, lors que ces chofes ce prefentent, oufemblcntfeprc- fenter aux organes extérieurs de mes fens -, Elle n'eft pas auffi vne pure production ou ficlion de mon efprit, car il neft pas en mon pouuoir d'y diminuer n'y d'y ad- ioufter aucune chofe, & par confequent il ne refte plus autre chofe à dire, finon que comme l'idée demoy-

H

r$ Méditation

mefme, elle eft liée 5c produite auec moy dés lors quefay eftécree.

Et certes onne doit pas trouueréftrangc, que Dieu en me créant ait mis en moy cette idée pour eftrc com- me la marque dcl'ouurier eraprainte fur Ion ouura- ge ; Et il n'eft pas aufli neceiîaire que cette marque loit quelque chofe de différent de ce mefme ouura- gc : Mais de cela feul que Dieu m'a créé , il eft fore croyable qu'il m'a en quelque façon produit à fon Image & lèmblance, &queie conçoy cette reflem- blance ( dans laquelle l'idée' de Dieu le trouue con- tenue ) par la mefme faculté par laquelle ie me con- çoy moy- mefme , c'eft à dire que lors que ie fais re- flexion fur moy, non feulement ie connois que ie fuis vne chofe imparfaite, incomplète, & dépendan- te dautruy, qui tend &c qui afpirc fans cefle à quel- que choie de meilleure de plus grand que ie ne fuis, mais ie connois aufïi enméfme temps, que celuy du- quel ie dépens poiTede en foy toutes ces grandes cho- ies aufquelles i'afpire, & dent ie trouue en moy les idéeSjnonpasindefimmentj&leulementenpuiiTancCj mais qu'il en ioùit en effecl:, actuellement, & infini- ment, & ainfi qu'il eft Dieu : Et toute la. force de l'argument dent i'ay icy vfé pour prouucr l'exiften- ce de Dieu, confifte en ce qne ie reconnois qu'il ne feroit pas poffiblequema, nature fuit telle qu'elle eft, c'eft à dire que i'euffe en moy l'idée d vu Dieu, fi Dieu n'exiftoit véritablement, ce mefme Dieu, dif-je,duquel lidée eft en moy, c'eft à duc qui poifede toutes ces

Troijîeme. y$

hautes perfections, dont noftre efprit peut bien auoir quelque idée fans pourtant les comprendre toutes, qui n'eft (ujet à aucuns deffauts, & qui n'a rien de toutes les chofes qui marquent quelque imperfection.

D'où il eft allez euident qu'il ne peut pas eftrc trom- peur, puis que la lumière naturelle nous enfeigne que la tromperie dépend neceflairementdc quelque def- faut.

Mais auparauant queiexamine cela plus loigneu- femenr, ôc que îe paiîe à la confédération des autres veritez que Ton en peut recueillir, il me femblc très à propos de m'arrefter quelque temps à la contem- plation de ce Dieu tout parfait, de pefer tout à loifîr les mcrueilleux attributs, de confiderer , d'admirer, & d'adorewTincomparablc beauté de cette immenfc lumière, au moins autant que la force de mon efprit, qui en demeure en quelque forte éblouy, me le pou. ra permettre.

Car comme la foy nous apprend que laSouuerai- ne félicité de l'autre vie, ne confifte que dans cette contemplation de la Majefté diuine : Ainfi expéri- mentons nous de's maintenant , qu'vnc fcmblable Méditation quoy qu'incomparablement moins par- faite, nous fait ioiiir du plus grand contentement que nous foyons capable dereiTcntir en cette vie.

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6o

MEDITATION

Q_V ATRIE'ME.

Du <vray , ft) au Faux.

E me fuis tellement accoi&ftumé ces iours paffez à détacher mon cfprit des fens, & i'ay fi exactement remarqué qu'il y a fort peu de chofes, que l'onconnoif- feauec certitude touchant leschofes corporelles, qu'il y en a beaucoup plus qui nous font connues tou- chant l'efprit humain, & beaucoup plus encore de Dieu mefme, que maintenant ie defîourneray fans aucune difficulté ma penfée de la confideration des chofes fejnfibi.es , ou imaginables, pour la porter à celles qui eftant dégagées de toute matière font pu- rement intelligibles.

Et certes l'idée que i'ay de l'efprit humain, entanr qu'il eft vne choie qui penfe, ôc non eftenduë en longueur, largeur & profondeur, & qui ne participe à

Quatrième. 6?

rien de ce qui appartient au corps > cft incompara- blement plus diilin&e que l'idée d'aucune chofe cor- porelle : Et lors que ie confidere que ie doute, c'efl à dire que ie fuis vne chofe incomplète & dépen- dante, l'idée d'vn eflre complet & indépendant, c'efl à dire de Dieu, fe prefente à mon efpritauec tantde diftin&ion &de clarté: Et de cela feul que cette idée fe retrouue en moy, ou bien que ie fuis, ou exifle, mpy qui poflede cette idée, ie conclus fi cuidem- ment l'exiilence de Dieu, & que la mienne dépend entièrement de luy en tous les momens de ma vie , que ie ne penfe pas que l'efprit humain puiffe rien connoiflre auec plus d'euidence & de certitude. Et défia il me femble que ie découure vn chemin, qui nous conduira de cette contemplation du vray Dieu (dans laquelle tous les trefors de la feience & de la fagefTe font renfermez ) à la connoiiïance des autres chofes de TVniuers*.

Car premièrement ie reconnois qu'il cft impofïï-' ble que iamais il me trompe, puis qu'en toute frau- de & tromperie il fe rencontre quelque forte d'im- perfe&ion : E t quoy qu'il femble que pouuoir trom- per foit vne marque de fubtilité, ou de puifîance, toutesfois vouloir tromper témoigne fans doute de la foibleffe ou de la malice. Et partant cela ne peut le rencontrer en Dieu.

En après l'expérimente en moy mefme vne certaine puifîance de iuger, laquelle fans doute fay reccuede Dieu, de mefme que tout le relie des chofes que ie

H nj

o-2 Méditation

pofîede ; & comme il ne voudroit pas m'abufer, if eft certain qu'il ne me l'a pas donnée telle, que ie puifîe îamais faillir, lors que l'en vferay comme il faut. Et il ne refteroit aucun doute de cette vérité, fi l'on n'en pouuoit ce femble tirer cette confequen- ce, quainfi donc ie ne me puis iamais tromper : Car fi ie tiens de Dieu tout ce que ie poflede, & s'il ne ma point donné de puifTance pour faillir, il femble que ie ne me doiue iamais abufer. Et de vray lors que ie ne penfe qu'à Dieu , ie ne découure en moy aucune caufe d'erreur ou de faïuTeté: Mais puis après reuenant à moy, l'expérience me fait connoiftreque ie fuis ncantmoins fujet à vne infinité d erreurs, def. quelles recherchant la caufe de plus prés,ie remarque qu'il ne fe prefente pas feulement à ma penfée vne réelle & pofitiue idée de Dieu, ou bien dvn eftre fôuuerainement parfait, mais auiîi, pour ainfi par- ler, vne certaine idée negatiuc du néant, c'eft à di- re de ce qui eft infiniment éloigné de toute forte de perfection : Et que ie fuis comme vn milieu en- tre Dieu & le néant, c'eft à dire placé de telle forte entre lefouuerain eftre & le non eftre, qu'il nefe ren- contre de vray rien en moy qui me puiffe conduire dans l'erreur, entant quvn fouuerain eftre ma produit : Mais que fi ie me confidere comme participant en quelque façon du néant ou du non eftre,c'eft à dire, en- - tant que ie ne fuis pas moy-mefme le fouuerain eftre, iemetrouueexpoféàvne infinité de manquemens, de façon que ie ne me doispaseitonnerfi ieme trompe*

Quatrième. 6j

Ainfi iecoiinois que l'erreur, entant que telle, n cil pas quelque chofede réel qui dépende de Dieu, mais que c'eft feulement vn défaut; & partant queien'ay pas befoin pour faillir de quelque puifTance qui m'ait efté donnée de Dieu particulièrement pour cet cf- fecl: , mais qu'il arriue que ie me trompe, de ce que la puifTance que Dieu m'a donnée pour difeerner le vray d'auec le faux, n'eft pas en moy infinie.

Toutesfois cela ne me fatisfait pas encore tout à fait, car l'erreur n'eft pas vne pure négation, c'eft à dire, n'eft pas le (impie défaut ou manquement de quelque perfection qui ne m eft point deuë, mais plu- toft eft vne priuation de quelque connoilTancc qu'il femble que ie deurois poiieder.-Etconfiderant la na- ture de Dieu, il ne me femble pas poiTible qu'il m'ait donné quelque faculté qui foit imparfaite en fon gen- re, c'eft adiré, qui manque de quelque perfection qui luy foit deue : Car s'il eft vray que plus 1 artifan eft expert, plus lesouurages qui fortenc de les mains font parfaits & accomplis, quel eftre nous imaginerons nous auoir efté produit parcefouuerain Créateur de toutes chofes, qui ne foit parfait & enticrementache- en toutes fes parties i Et certes il n'y a point de doute que Dieu n'ait peu me créer tel.» que ie ne me peufTe iamais tromper, il eft certain auflî qu'il veut toufîours ce qui eft le meilleur; m'eft-il donc plus auantageux de faillir, que de ne point faillir?

Confîderant cela auec plus d'attemion, il me vient d'abord en la penfée que ie ne nie dois pouit efton-

6jf

Méditation

ner fi mon intelligence n'eft pas capable de compren- dre pourquoy Dieu fait ce qu'il fait;, & qu'ainfi ic nay aucune raifon de douter de fon exiftence, de ce que peut-eftre ie voy par expérience beaucoup d'autres chofes, fans pouuoir comprendre pour qu'el- le raifon , ny comment Dieu les a produites : Car (cachant défia que ma nature eft extrêmement foi- ble & limitée , & au contraire que celle de Dieu eft immenfe, incomprehenfible,& infinie, ic nay plus de peine à reconnoiftre qu'il y a vne infinité de cho- fes en fa puilTance , defquelles les caufes furpaiTent la portée de mon efprit ; Et cette feule raifon eft fuf- fifante pour me perfuader que tout ce genre de cau- fes qu'on a couftume de tirer de la fin , n'eft d'aucun vfage dans les chofes Phyfiques, ou naturelles: car il ne me femble pas que ic puiffe fans témérité recher- cher & entreprendre de dccouurirles fins impénétra- bles de Dieu.

De plus il me tombe encore en l'efprit , qu'on ne doit pas confiderer vne feule créature feparement , lors qu'on recherche fi les ouurages de Dieu font parfaits, mais généralement toutes les créatures en- semble: Car la mcfme chofequi pourroit peut-eftre auec quelque forte de raifon fembler fort imparfai- te, fi elle eftoit toute feule, fc rencontre très parfai- te en fa nature, fi elle eft regardée comme partie de tout cet Vniuers : Et quoy que depuis que iay fait defTcin de douter de toutes chofes, ie n'ay connu certainement que mon exiftenec, & celle de Dieu:

Tou-

Quatrième. 6?

Toutcsfois aufïi 'depuis que i'ay reconnu l'infinie puif fancc de Dieu, ie ne içaurois nier qu'il n'aie pro- duit beaucoup d'autres chofes, ou du moins qu'il n'en puiffe produire, en forte que i'exifte, & fois placé dans le monde, comme faifant partie de IV- niucrfité de tous les eftres.

En fuite de quoy me regardant de plus prés, & con- sidérant quelles font mes erreurs, ( iefquelles feules témoignent qu'il y a en moy de l'imperfcclion ) ie trouue qu'elles dépendent du concojurs de deux cau- fes, à fçauoir, de la puiffanec de connoiftre qui efl en moy ; & de la puiffance d'élire, ou bien de mon libre arbitre jc'eft à dire, de mon entendement, & en- femble de ma volonté. Car par l'entendement feul ienaiTeure ny ne nie aucune chofe, mais ie conçoy feulement les idées des chofes , que ie puis alîeu- rer ou nier. Or en le eonfiderant ainfi precifément, on peut dire qu'il ne fe trouue iamais en luy aucune er- reur, pourueu qu'on prenne le mot d'erreur en fa propre Signification. Et encore qu'il y aitpeut-eftrc vne infinité de chofes dans le monde , dont ie n'ay aucune idée en mon entendement, on ne peut pas dire pour cela qu'il foit priué de ces ide'es , comme de quelque chofe qui foit deuë à fa nature, mais feu- lement qu'il ne les a pas j parce qu'en effet il n'y a aucune raifon qui puiffe prouuer, que Dieu ait deu me donner vne plus grande & plus ample faculté de con- noiftre, que celle qu'il m'a donnée j & quelque adroit & fçauant ouurier que ie me le reprefente, iene dois

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66 Méditation

pas pour cela penfer, qu'il ayt deu mettre dans cha- cun de fes ouuragcs toutes les perfections qu'il peut mettre dans quelques vns. le ne puis pas auilî me plaindre que Dieu ne m'a pas donné vn libre ar- bitre, ou vne volonté allez ample & parfaite jpuis qu'en effet ie l'expérimente fi vague & fi étendue, qu'elle n'eft renfermée dans aucunes bornes. Et ce qui me femble bien remarquable en cet endroit, eft que de toutes les autres chofes qui font en moy, il n'y en a aucune fi parfaite & fi eftendue, que ie ne re- connoilfe bien quelle pouroiteftre encore plus gran- de & plus parfaite. Car, par exemple, fi ie confidere la faculté de conceuoir qui eft en moy,ie trouuc qu'elle eft d'vne fort petite étendue, Se grandement limitée, Se tout enfemble ie me reprefente l'idée d'v- ne autre faculté beaucoup plus ample , de mefme infinie \ de de cela ieul que ie puis me reprefenter fon idée, ie connois fans difficulté qu'elle appartient a la nature de Dieu. En mefme façon fi l'examine la mémoire, ou l'imagination, ou queiqu'autrepuif- fance, ie n'en trouue aucune qui ne foie en moy très petite Se bornée, & qui en Dieu ne foit immerï- fe ôe infinie. Il n'y a que la feule volonté, que i'ex- perimente en moy cftre fi grande, que ie ne conçoy point l'idée d'aucune autre plus ample Se plus éten- due: En forte que c'eft elle principalement qui me fait connoiftre que ie porte l'image, & la reffemblancc de Dieu. Car encore qu'elle foit incomparablement plus grande dansDieu,que dans moy^foit à raifon delà corjk

Quatrième. 67

nohTance & de la puiiTance, qui s'y tronuant Jointes la rendent plus ferme & plus efficace, foie a raifon de l'objet , d'autant qu'elle fe porte & s'eflend infini- ment à plus de chofes ; Elle ne me femble pas toutes- fois plus grande , fi ie la confiderc formellement & precifement enelle-mefme : Car elle confifte feule- ment en ce que nous pouuons faire vne chofe, ou ne la faire pas., ( c eft à dire affirmer ou nier, pour fui- ure ou fuir ) ou pluftoft feulement en ce que pour affirmer ou nier, pourfuiurc ou fuir les chofes que l'entendement nous propofe, nous agiffons en telle forte que nous ne fentons point qu'aucune force ex- térieure nous y contraigne. Car afin que ie fois li- bre, il n'eft pas necefTairc que ie fois indiffèrent à choifir l'vn ou l'autre des deux contraires , mais plu- toft d'autant plus que ie panche vers l'vn , foit que ie connoiffe éuidemment que le bien & le vray s'y rencontrent, foit que Dieu difpofe ainfi l'intérieur de ma penfée, d'autant plus librement l'en fais choix, & ie l'embraiTe : Et certes la grâce diuine & la con- noifTance naturelle, bien loin de diminuer ma liber- té, l'augmentent pluftoft, & la fortifient. De façon que cette indifférence que ie fens,lors que ie ne fuis point emporté vers vn cofté pluftoft que vers vn au- tre parle poids d'aucune raifon, eft le plus bas degré delà liberté, & fait plutoft paroiftrevn défaut dans la connoi(Tance,qu'vne perfe&ion dans la volonté ; car fi ie connoiffois toufiours. clairement ce qui eft vray, & ce qui eft bon,ie ne ferois iamais en peine

68 Méditation

de délibérer quel iugement, & quel choix ie dcurois faire j&ainfîie ferois entièrement libre, fans iamais eftre indiffèrent,

De tout cecy ie reconnois que ny la puiiTance de vouloir , laquelle iay receue de Dieu, n'eft point d'elle- mefme la caufede mes erreurs: car elle eft très- ample & très parfaite en fon efpece -, ny auffi la puif fance d'entendre ou de conceuoir : car ne conceuant rien que par le moyen de cette puiiTance que Dieu m'a donnée pour conceuoir , fans doute que tout ce que ie concoy,ie le conçoy comme il faut, & il n eft pas poilible qu'en cela ie me trompe. D'où eft-ce donc que naiifent mes erreurs Pc'eft à fçauoir, déce- la feul, que la volonté eftant beaucoup plus ample ôc plus étendue que l'entendement, ie ne la contiens pas dans les mcfmes limites, mais que icPeftens auflî aux chofes que ie n'entens pas, aufquclles eftant de foy indifférente, elle s'e'gare fort aifement, & choifit le mal pour le bien, ou le faux pour le vray. Ce qui fait que je me trompe, ik que ie pèche.

Parexemple, examinant ces iours paffez fi quelque chofe exiftoix dans le monde, &: connoiffant que de cela feul que i'examinois cette queftion, ilfuiuoittres- éuidemment que i'exiftois moy-mefmc,ie ne pou- uois pas m'empefeher de iuger qu'vne chofe que ie conceuois fi clairement eftoit vraye , non que ie m'y trouuafïe forcé par aucune caufe extérieure, mais ieulemcnt , parce que .d'vne grande clarté qui eftoit en mon entendement, fiiiuy vne grande inclina*

Quatrième. 6 $

non en ma volonté^ ieme fuis porté à croire aucc d'autant plus de liberté, que ie me fuis trouué auec moins d'indifférence. Au contraire à prefent ie ne connois pas feulement que i'exifte, entant que ie fuis quelque chofe qui penfe, 'mais il fe prefente aùiE à mon efprit vne certaine idée de la nature corporel- le, ce qui fait que ie doute fi cette nature qui pen- fe qui eft en moy , ou plutott par laquelle ie fuis ce que ie fuis, eft différent de cette nature corporelle, ou bien fi toutes deux ne font qu'vne mefme chofe: Et ie fuppofe icy que ie ne connois encore aucune rai- fon, qui me perfuade pluftoft l'vn que l'autre : d'où il fuit que ie fuis entièrement indiffèrent à le nier, ou à raiTurer,oubien mefme à m'abftenir d'en donner

aucun îu cernent.

o

Et cette indifférence ne s étend pas feulement aux chofes dont l'entendement n'a aucune connoi (Tance, mais généralement aulli à toutes celles qu'il ne dé- couure pas auec vne parfaite clarté, au moment que k volonté en délibère ,car pour probables que foyent les coniectures qui me rendent enclin à iuger quel- que chofe, la feule connoiffance que i'ay que ce ne font que des coniedeures, & non des raifons certaines & indubitables, furEt pour me donner occafion de iuger le contraire: Ce que i'ay fufEfamment expéri- menté ces* iours paffez, lors que i'ay pofé pour Faux, tout ce que Tauois tenu auparauant pour très- vérita- ble, pour cela feul que i'ay remarqué que l'on en pou- uoit douter en quelque forte.

I iij

> o Méditation

Or fi ic nVabftiens de donner mon iugcment fur vne chofe, lors que ic ne la conçoy pas auec afTez de clarté & de diftinction,ileft éuident que i'envfeforc bien, & que ie ne fuis point trompé \ Mais fi ic me détermine à la nier, ou affeurer, alors ie ne me fers plus comme ie dois de mon libre arbitre j Et fii'af- iurc ce qui n'eft pas vray , il cft euident que ie me trompe; mefme auiTi encore que ie iuge félon lave- rite, cela n'arriue que par hazard, & ie ne laiiTe pas de faillir, & d'vfer mal démon libre : Car la lumiè- re naturelle nous enfeigne , que la connoiiTance de l'entendement doit toujours précéder la détermina- tion de la volonté. Et c'eft dans ce mauuais vfage du libre arbitre, que fe rencontre la priuation qui con- ftitue la forme de Terreur. La priuation, dif-je, fe ren- contre dans l'opération , entant quelle procède de moy, mais elle ne fe trouue pas dans la puiifancequc i'ay receue de Dieu, ny mefme dans l'opération, en- tant qu'elle dépend de luy. Car ie n'ay certes aucun fujet de me plaindre, de ce que Dieu ne ma pas don- ûé vne intelligence plus capable , ou vne lumière na- turelle plus grande que celle que ie tiens de luy; puis qu'en effet il cft du propre de l'entendement finy , de ne pas comprendre vne infinité de chofes , & du propre dvn entendement crée d'eftre finy: Mais iay tout fujet de luy rendre grâces, de cequenem'ayant iamais rien deu,il m'a neantmoins donné tout le peu de perfections qui efl: en moy ; bien loin de conce^ uoir desfentimensfi iniuftes,qucde in imaginer qu'il

Quatrième. 71

m'ait ofté, ou retenu iniuftement les autres perfe- ctions qu'il ne m'a point données. le n'ay pas auilî fujet de me plaindre, de ce qu'il m'a donné vne vo- lonté plus étendue que l'entendement, puis que la volonté ne confîftant qu'en vne feule chofe, cV fon fujet cftanuommc indiuifible, il femble que fa na- ture eft telle qu'on ne luy (cauroit rien ofter fans la deftruire j Et certes plus elle fe trouue eftre grande, & plus i'ay à remercier la bonté de celuy qui me la donnée, tt enfin ie ne dois pas auffi me plaindre, de ce que Dieu concourt auecmoy pour former les actes de cette volonté, c'eft à dire les iugemens dans lef- quels ie me trompe : Parce que ces actes-là font en-' fièrement vrays, & abfolument bons, entant qiuls dépendent de Dieu, & il y a en quelque forte plus de perfection en ma nature, de ce que ie les puis for- mer, que ie ne le pouuois pas. Pour la priuation dans laquelle feule confifte la raifon formelle do l'er- reur, ck du péché, elle n'a befoin d'aucun concours de Dieu, puis que ce neft pas vne chofe , ou vn eftre, & quefi on la rapporte à Dieu commeàfa caufe, elle ne.doit pas eftre nommée priuation, mais feulement négation, félon la fignification qu'on donne àces mots dans l'Efchole.

\ Car en effect ce neft: point vne Imperfection en Dieu , de ce. qu'il m'a donné la liberté de donner mon iugemenr, ou de ne le pas donner, fur certaines chofes dont il n'a pas mis vne- claire & diftincte connoiffance en mon entendement ; mais fans, doute

y 2 Méditation

c'eft en moy vne imperfe&ion, de ce que ic nenvfe pas bien , & que ic donne témérairement mon iuge- ment, fur des chofes que ieneconçoy quauecobfcu- rité & confufion.

le voy neantmoins qu'il efloit aiféà Dieu de fai- re en forte que ie ne me trompafïe iamais, quoy que ie demeuraiTe libre , & d'vne connoifTance bor- née, à fçauoir , en donnant à mon entendement vne claire & diftincSte intelligence de toutes les chofes dont ie deuois iamais délibérer, ou bien feulement s'il euft fi profondement graué dans ma mémoire la refolution de ne iuger iamais d'aucune chofe fans la conceuoir clairement & diftin&ement, que ie ne la peuffe iamais oublier. Et ie remarque bien qu'entant que ie me confidere tout feul, comme s'il n'y auoit que moy au monde, i'aurois eflé beaucoup plus par- fait que iene fuis, fi Dieu m'auoit crée tel que iene failliffe iamais. Mais ie ne puis pas pour cela nier, que ce nefoiten quelque façon vne plus grandeper- fe&ion dans tout l'Vniuers, de ce que quelques vnes de fes parties ne font pas exemptes de deffaut, que fi elles eiloientjoutesfcmblablesj Et ien'ay aucun droit de me plaindre , fi Dieu m'ayant mis au monde n'a pas voulu me mettre au rang des chofes les plus no- bles & les plus parfaites > mefme iay fujet de mécon- tenter de ce que s'il ne m'a pas donné la vertu de ne point faillir, par le premier moyen que i'ay cy-deP fus déclaré, qui dépend d'vne claire & éuidente con- noifTance de toutes les chofes dont ie puis délibérer,

il a

Quatrième. ?$

il a au moins laifle en ma puiflancc l'autre moyen , quieft de retenir fermement la refolution de ne ja- mais donner mon iugement fur les chofes dont la vérité ne m'eft pas clairement connue; Car quoyqu© ie remarque cette foiblefle en ma nature, que ie ne puis attacher continuellement monefpritàvnemef- me penféc, ie puis toutesfois par vne méditation at- tendue & fouuent réitérée, me l'imprimer fi forte- ment en la mémoire que ie ne manque iamais de m'en refîouuenir, toutes les fois que ien auray be- foin, & acquérir de cette façon l'habitude de ne point faillir ; Et dautant que c'eft en cela que con- fiftela plus grande & principale perfe&ion de l'hom- me, reflime n auoir pas peu gagné en cette Médita- tion, d'auoir découuert la caufe des fauffetez & des erreurs.

Et certes il ny en peut auoir d'autre que celle que i'ay expliquée ; Car toutes les fois que ie retiens tel- lement ma volonté dans les bornes de ma connoif- fance % qu elle ne fait aucun iugemerit que des cho- fes qui luy font clairement & diftincîement repre- fentées par l'entendement, il ne fe peut faire queie me trompe j Parce que toute conception claire & diftindte eft fans doute quelque chofe de réel, ôede pofitif,& partant ne peut tirer fon origine du néant, mais doit neceiTairement auoir Dieu pour fon au- teur, Dieu, dif je, qui eftant fouuerainement parfait ne peut eftre caufe d'aucune erreur , Et par confe-

K

74-

Méditation

quent il faur conclure qu'vne telle conception, ou vn tel iugement eft véritable.

Au refte ic n'ay pas feulement apris auiourd huy ce que ic dois éuiter pour ne plus faillir , mais aufïî ce que ic dois faire pour paruenir à la connoiffance de la vérité. Car certainement i'y paruiendray fi i ar- refte fufïiiamment mon attention fur routes lescho- fes que ie conceuray parfaitement, de fi ie les fepare des autres que ie ne comprens qu'auec confufion, Se obfcurité. A quoy dorefnauant ie prendray foigneufe- ment garde.

7J

MEDITATION

C I N Q_V IE'ME.

De lejfence des chofes matérielles : Et de rechef de Dieu , qu'il exijle.

L me refte beaucoup d'autres chofes à examiner touchant les Atributs de Dieu, & touchant ma' propre nature, c'eft à di^ re celle de mon efprit ; mais f en repren- dray peut-eflrc vne autrefois la recherche. Main- tenant ( après auoir remarqué ce qu'il faut faire ou éuiter pour paruenir à la connoiffance de la vérité ) ce que i'ay principalement à faire , eft d'eflayer de fortir,& medébarafler de tous les doutes, ie fuis tombé ces iours parlez , & voir fi l'on ne peut riea connoiftre de certain touchant les chofes matériel- les.

Mais auant que l'examine s'il y a de telles chofes qui exiftent hors de moy,ie dois con/îdercr leurs idées.,

Kij

76 Méditation

entant qu elles font en ma penfée , & voir quelles font celles qui font diftin&es, ôc quelles font celles qui font confufes.

En premier lieu,i'imagine diftin&ement cette quan- tité y que les Philofophes appellent vulgairement la quantité continue, ou bien l'extenfion en longueur, largeur, & profondeur, qui eft en cette quantité, ou plutoft en la chofe à qui on l'attribue. De plus ie puis nombrer en elle plufieurs diuerfes parties, & at- tribuer à chacune de ces parties toutes fortes de gran- deurs, de figures, de fituations,& de mouuemens : Et enfin ie puis afïîgncr à chacun de ces mouuemens toutes fortes de durées.

Et ie ne connois pas feulement ces chofes auec di- ftinction , lors que ie les confidere en gênerai ; mais aufli pour peu que i'y applique mon attention, ie conçoy vne infinité de particularitez touchant les nombres, les figures, les mouuemens , & autres cho- fes femblables, dont la vérité fe fait paroiftre auec tant d'euidence, & s'accorde fi bien auec ma nature, que lors que ie commence à les decouurir, il ne me femble pas que iapprenne rien de nouueau, mais plu- toft que ie me reflouuiens de ce que ie fçauois défia auparauant , ceft à dire, que iaperçoy des chofes qui eftoient défia dans mon efprit, quoy que ie n'euffe pas encore tourné ma penfée vers elles.

Et ce que ie trouue icy de plus confiderable, eft que ie trouue en moy vne infinité d'idées de certai- nes chofes > qui ne peuuent pas eftre cftimées vn pur

Cinquième. ??

néant, quoy que peut-eftre elles nayent aucune exi- ftance hors de ma penfée -, & qui ne font pas feintes par moy, bien qu'il foit en ma liberté de les penfer, ou ne les penfer pas ', mais elles ont leurs natures vrayes & immuables. Comme, par exemple, lors que i'imagine vn triangle, encore qu'il n'y ait pcut- eftre en aucun lieu du monde hors de ma penfée vnc telle figure, & quil n'y en ait iamais eu , il ne lailîe pas neantmoins d'y auoir vnc certaine nature, ou forme, ou elTence déterminée de cette figure, la- quelle eft immuable & éternelle, que ie n'ay point inuentée, & qui ne dépend en aucune façon de mon efprit; comme il paroift de ce que l'on peut démon- ftrer diuerfes proprietez de ce triangle, à fçauoir^que fes trois angles font égaux à deux droits, que le plus grand angle eft fouftenu par le plus grand cofté, ôc autres fcmblables, lefquelles maintenant, foit que iele veuille, ou non,ie reconnois tres-clairement&tres- euidemment cftre en luy, encore que ic n'y ayepen- auparauant en aucune façon, lors que ie me fuis imaginé la première fois vn triangle ; & partant on ne peut pas dire que ie les aye feintes, &inuentées.

Et ie n'ay que faire icy de m'obiecter, que peut- eftre cette idée du triangle eft venue en mon efprit par l'entremife de mes fens, parce que i'ay veu quel- quefois des corps de figure triangulaire ; Car ie puis former en mon efprit vne infinité d'autres figures , dont on ne peut auoir le moindre foupçon que iamais elles me foient tombées fous les fens, Se ie ne laiflc

K iij

/8 Méditation

pas toutcsfois de pouuoir demonftrer diuerfes pro- priccez touchant leur nature, auffi bien que touchant celle du triangle : lefquclles certes doiuent eftre tou- tes vrayes, puis que ie lesconçoy clairement, & par- tant elles font quelque chofe, & non pas vn pur néant : car il eft très euident que tout ce qui eft vray eft quelque chofe ; Et i'ay défia amplement demonftré cy-defTus que toutes les chofes que ie connois clai- rement & diftin&ement (ont vrayes. Et quoy que ie ne l'eu (Te pas demonftré , toutefois la nature de mon efprit eft telle, que ic ne me fçaurois empefeher de les eftimer vrayes, pendant que ie lesconçoy clai- rement & diftindtement. Et ie me reflbuuiens, que lorsmefme que feftois encore fortement attaché aux obje&s des fens, i'auois tenu au nombre des plus confiantes veritez, celles que ic conceuois clairement & diftin&emcnt touchant les figures, les nombres , & les autres chofes qui appartiennent à l'Arithméti- que, & à la Géométrie.

Or maintenant fi de cela feul que ie puis tirer de ma penfée i idée de quelque chofe > il s'enfuit que tout ce que ic reconnois clairement & diftin&ement ap- partenir à cette chofe, luy appartient en effeâ:, ne puis- je pas tirer de cecy vn argument, & vnc preu- ue demonftratiuc de l'cxiftence de Dieu ? Il eft cer- tain que ie ne trouue pas moins en moy fon idée , ceft à dire, l'idée dvn eftre fouuerainerncnt parfait 3 que celle de quelque figure, ou de quelque nombre que ce foitjEt ic ne cqnnoispas moins clairement &

Cinquième. 79

diftincl:cment,quvnc a&uelle, & éternelle exiftence appartient à fa nature, que ie connois que tout ce que ie puis démonftrcr de quelque figure, ou de quelque nombre, appartient véritablement à la nature de cette figure, ou de ce nombre; Et partant encore que tout ce que i'ay conclu dans les méditations précédentes, ne fc trouuaft point véritable, l'cxiftence de Dieu doit paf- fer en mon efprit au moins pour aufli certaine, que i'ay eftimé iulques icy toutes les veritez des Mathé- matiques, qui ne regardent que les nombres, & les figures ; bien qua la vérité cela ne paroifTc pas d'a- bord entièrement manifeftc,mais fcmble auoir quel- que apparence de Sophifme. Car ayant accouftumé dans toutes les autres chofes de faire diftirxtion entre rexiftence,&l'eiTencc,ie me per fuade ay ïcmét que l'exi- ftence,pcut eftre feparée de l'eilencs deDicu,& quainfi on peut conceuoir Dieu comme n'eftant pas actuelle- ment. Mais neantm.oins lors que i y penfe auec plus d'attention , ie trouue manifeftement que l'cxiften- ce ne peut non plus eftre feparée de TeiTence de Dieu, que de l'efTence d'vn triangle re&ilique, la grandeur de fes trois angles égaux à deux droits : ou bien de l'idée d'vnc montagne , l'idée d'vne valée ; En forte qu'il ny a pas moins de répugnance de conceuoir vn Dieu (c'eftà dire vn eftre fouuerainement parfait) auquel manque ! exiftence (ceft à dire auquel manque quel- que perfection ) que de .conceuoir vne montagne <pi n'ait point de valée.

Mais encore qu'en crTecl: ie ne puifle pas conec-

**

8o Méditation

noir vn Dieu fans exiftence, non plus qu vne mon- tagne fans valée, toutesfois comme de cela feul que ie conçoy vne montagne auec vne valée, il ne s'en- fuit pas qu'il y ait aucune montagne dans le monde j De mefme auflî quoy que ie conçoiue Dieu auec l'exiftence, il femble qu'il ne s'enfuit pas pour cela qu'il y en ait aucun qui exifte : Car ma penfée n'im- pofe aucune neceffité aux chofes ; Et comme il ne tient qu'à moy d'imaginer vn chenal aidé, encore qu il n'y en ait aucun qui ait des ailles, ainfi ie pourois peut- eftre attribuer l'exiftence à Dieu, encore qu'il n'y euft aucun Dieu qui exiftaft. Tant s'en faut, c'eft icy qu'il y a vn Sophifme caché fous l'apparence de cette objection ; car de ce que ie ne puis conceuoir vne montagne fans valée, il ne s'enfuit pas qu'il y ait au monde aucune montagne, ny aucune valée, mais feulement que la montagne & la valée, foit qu'il y en ait, foit qu'il n'y en ait point, ne fe pcuucnt en aucune façon feparer Tvne d'auec l'autre : Au lieu que de cela feul , que ie ne puis conceuoir Dieu fans exiftence,il s'enfuit que l'exiftence eft infcparable de luy , ôc partant qu'il exifte véritablement -, non pas que ma penfée puifTe faire que cela foit de la for- te , ôc qu'elle impofe aux chofes aucune neceifité ; mais au contraire parce que la neceiïité de la chofe mefme > à fçauoir,de l'exiftence de Dieu, détermine ma penfée à le conceuoir de cette façon. Car il n'eft pas en ma liberté de conceuoir vn Dieu fans exiften- ce ( c'eft à dire vn eftre fouuerainement parfait fans

vnc

Cinquième. Si

vne fouuerainc perfection) comme il m eft libre d'i- maginer vnchcual fans ailles, ou auec des ailles.

Et on ne doit pas dire icy, qu'il cftà la vérité ne- ceffaire que i'auoiie que Dieu exifte, après que i'ay fuppofé qu'il poflede toutes fortes de perfections, puis que lexiftencc en eft vne^ mais qu'en effe&ma première fuppofition n'eftoit pas neceffaire; demef- me qu'il n'eft point necelTaire de penfer que toutes les figures de quatre coftez fe peuuent inferire dans le cercle, mais que fuppofant que i'aye cette penfée,ie fuis contraint d'auoiier que lerhombefepeut inferi- re dans le cercle, puis que c'eft vne figure de quatre coftez ; & ainfi ie feray contraint d'auoiier vne cho- fe faulTe. On ne doit point, dif-jc alléguer cela: car encore qu'il ne foit pas neceffaire que ie tombe ia- mais dans aucune penfée de Dieu , ncantmoins tou- tes les fois qu'il m'arriue de penfer a vn cftre pre- mier & fouucrain , & de tirer, pour ainfi dire, fon idée du trefor de mon efprit,il eft necelTaire que icluy attri- bue toutes forres de perfe6tions,quoyqucie ne vienne pas à les nombrer toutes, & à appliquer mon atten- tion fur chacune d'elles en particulier. Et cette ne- ceflité eft fuffifante pour me faire conclure ( après que i'ay reconnu que lexiftencc eft vne perfection) que cet eftre premier & fouuerain exifte véritable- ment y de mefme qu'il n'eft pas neceffaire que l'ima- gine jamais aucun triangle , mais toutes les fois que ie veux confiderer vne figure rectilique compofee feulement de trois anales, il eft abfolument necef-

L

8z Méditation

faire que ie luy attribue" toutes les chofes'qui fcruent à conclure , que fes trois angles ne font pas plus grands que deux droits, encore que peut-cflre ic ncconfidere pas alors cela en particulier. Mais quand l'examine quelles figures font capables d'eftre infcri- tes dans le cercle , il n eft en aucune façon necef- faire que ie penfe que toutes les figures de qua- tre collez font de ce nombre ; au contraire ie ne puis pas mefmc feindre que cela foit , tant que ie ne voudray rien receuoir en ma pcnfée, que ce que ic pouray conccuoir clairement de diftin&ement. Et par confequent il y a vue grande différence entre les fauffes fupofitions, comme eft celle-cy, &les vérita- bles idées qui font nées auec moy,dont la première & principale eft celle de Dieu.

Car en effectie recannois en plufieurs façons que cette idée n'eft point quelque chofe de feintoud'in- uenté, dépendant feulement demapenfée^mais que ceft l'image d'vne vraye,& immuable nature. Pre- mièrement à caufe que ie ne fçaurois conceuoir au- tre chofe que Dieu feul, à l'eiTence de laquelle l'exi- stence appartienne auec neeeflité. Puis auffi pource qu'il ne m eft pas poifible de conceuoir deux ou plu- sieurs Dieux de mefme façon. Et pofé qu'il y enait vn maintenant qui exifte, ie voy clairement qu'il eft neceffaire qu'il ait eftéauparauant de toute éternité, & qu'il foit éternellement à l'auenir. Et enfin parce que ie connois vne infinité d'autres chofes en Dieu^ defquelles ic ne puis rien diminuer , ny changer.

Cinquième. Sj

i Au refte de quelque prcuue & argument que ie me férue, il en faut touilours reuenir là, qu'il n'y a que les chofes que ie cpnçoy clairement & diftin- clemcnt, qui ayent la force de me perfuader entiè- rement. Et quoy qu'entre les chofes que ie conçoy de cette forte, il y en ait à la vérité quelques vnes manifeftement connues d'vn chacun, & qu'il y en ait d'autres auflî qui ne fc découurent qu a ceux qui les confiderent de plus prés, & qui les examinent plus exa&ement, toutesfois après quelles font vne fois découuertes, elles ne font pas eftimees moins certai- nes les vnes que les autres. Comme, par exemple, en tout triangle re&angle , encore qu'il ne paroiife pas d'abord fi facilement que le quarrédelabafeeftégal aux quarrés des deux autres coftez, comme ilefteun dent que cette bafe eft ogpofée au plus grand angle^ neantmoins depuis que cela a efté vne fois reconnu, on eft autant perfuadé de la vérité dcl'vnque de l'au- tre. Et pour ce qui eft de Dieu , certes, îi mon ef- pritn'eftoit preuenu d'aucuns preiugcz, & que ma penféenefe trouuaft point diuertic par la" prefence continuelle des images des chofes fenfîbles, il n'y au- roit aucune chofe que ie connufle pluftoft,ny plus facilement que luy ; Car y a-t'il rien de foy plus clair & plus manifefte , que de penfer qu'il y a vn Dieu, c'eft à dire vn cftrc fotiuerain & parfait, en l'idée duquel feul l'exiftence neccifairc ou éternel- le eft comprife , & par confequent qui exifte ? Et quoy que pour bien conceuoir cette vérité,

Lij

8 4. Méditation

raye eu bcfoin dvne grande application d'efprit: Toutesfois à prefenc ie ne m'en tiens pas feulement aufll alfetire, que de tout ce qui me femble le plus certain : Mais outre cela ie remarque que la certitu- de de toutes les autres chofes en dépend fi abfo- lument, que fans cette connoiffance il eft impoflî- ble de pouuoir iamais rien fçauoir parfaitement.

Car encore que ie fois d'vnc telle nature , que dés aulïî-toft que ie comprens quelque chofe fort claire- ment & fort diftinctement, ie fuis naturellement por- té à la croire vraye, neantmoins parce que ie fuis auffi d'vne telle nature, que ie ne puis pas auoir l'ef. prit toufiours attaché à vne mefme chofe , & que fouuent ie mereiTouuicnsd'auoiriugé vne chofe eftre vraye, lors que ie ceife de confiderer les raifons qui m'ont obligé à la iuger teye, ilpeut arriuer pendant ce temps que d'autres raifons ieprefentent àmoy, lefquelles me feroient aifement changer d'opinion, fi i'ignorois qu'il y euft vn Dieu ; Et ainfi ie n'au- rois iamais .vne vraye ôc certaine feience d'aucune chofe que* ce foit, mais feulement de vagues ôc in- conftantes opinions.

Comme , par exemple, lors que ie confidere la nature du triangle, ie connois euidemment , moy qui fuis vn peu verfé dans la Géométrie, que {es trois angles font épaux à deux droits : ôc il ne rn eft pas pollible de ne le point croire, pendant que Rap- plique ma penfée à fadémonftrationjmais auffi-toft que ie l'en détourne, encore, que ie me reflouuienne

Cinquième. s y

de l'auoir clairement comprifejToutesfois il Te peut faire aifemenc que ie doute de fa vérité , fi i'ignore qu'il y ait vn Dieu : Car ie puis me perfuader d'a- uoir efte fait tel par la Nature, queie me puiiTeaife- ment tromper, mefme dans les chofes que ie croy comprendre auec le plus déuidence,& de certitude : Veu principalement que ie me refloutiiens d'auoir fouuent eftimé beaucoup de chofes pour vrayes & certaines, lcfquelles par aprés d'autres raifons mont porté àiuger abfolument faufles.

Mais aprés que i'ay reconnu qu'il y a vn Dieu , pourec qu'en, mefme temps i'ay reconnu auffi que toutes chofes dépendent de luy, & qu'il n'eft point trompeur, & qu'en fuite de cela i'ay iugé que tout ce que ieconçoy clairement &diftin£tement ne peut manquer d'eftre vray -, encore que ic ne penfc plus aux raifons pour lcfquelles i'ay iugé cela eftre véri- table, pourueu que ie me reffouuienne de l'ayoir clai- rement & diftin 61e ment compris , on ne me peut apporter aucune raifon contraire, qui me le face ia- mais reuoquer en doute, & ainfi l'en ay vne vrayc&r certaine feience. Et cette mefme feience s'eftend auffi à toutes les autres chofes que ie me refTbuuiens d'a- uoir autrefois demonftrées, comme aux veritezdela Géométrie, & autres fcmblables : Car queft-ce que l'on me peut obie&cr, pour m'obligera les reuo- quer en doute? Me dira-t'on que ma nature eft telle que ie luis fort fujet à me méprendre ?Mais ie fçay défia que ie ne puis me tromper dans les iugemens dontic

L.ij

ô6 Méditation

-connois clairement les raifons : Me dira- t'en quei'ay tenu autrefois beaucoup de chofes pour vrayes, & cer- taines, lefquellesi'ay recônu par après eftre faulTesrMais ie n auois connu clairement ny diftm&ement aucunes de ces ch ofes-là, ôc ne Cachant point encore cette règle par laquelle ie m'affeure de la vérité, i'auois efté porte à les croire,par des raifons que i'ay reconnu depuis èftre moins fortes, que ie ne me les cftois pour lors imagi- nées. Que me pourra-t'ôn doncquesobie&erdauan- tage? que peut-eftre ie dors ( comme ie me Teftois moy-mefme objecté cy-deuant ) ou bien que toutes les penfées que i'ay maintenant ne font pas plus vrayes que les réueries que nous imaginons eftans endormis ? Mais quand bien mefmc ie dormirois , tout ce cjui fe prefente à mon efprit auec éuidence , eft abfolument véritable. Et ainfi ie reconnois très- clairement que la certitude, & la vérité de toute feience, dépend de la feule çonnoifTanceduvray Dieu j En forte quauant queie leconnoiiTc ienepouuoisfçauoir parfaitement aucune autre chofe. Etàprefcntqueieleconnois,i'ay le moyen d'acquérir vne feience parfaite touchant vnc infinité de chofes, non feulement de celles qui font en luy, mais auflî de celles qui appartiennent à la nature corporelle, entant quelle peut feruir d'objet auxdc- monftrations des Géomètres, lefquels nent point dé- gard à fon exiftence.

*7.

MEDITATION

SIXIEME.

De l'exiftence des chofes matérielles j& de la réel^

le dijïmfîion entre famé ft) le corps

de l'homme,

L ncmerefte plus maintenant qu à exami- ner s'il y a des chofes matérielles, & certes au moins fçay-je défia qu'il y en peut auoir, entant qu'on les confidere comme l'objet des demonftrations de Géométrie, veu que de cette façon ie les conçoy fort clairement & fort diftin&emcnt. Car il n'y a point de doute que Dieu n'ait la puiilance de produire toutes les chofes que ic fuis capable de conceuoir auec diftin&ion y & ie n'ay iamais iugé qu'il luy fuft impoffible de faire quelque chofe, qu'alors que ie trouuois de la contradi- ction à la pouuoir bien conceuoir. Déplus la faculté d'imaginer qui eft en moy3& de laquelle ie voy par

88 Méditation

expérience que ie me fers lors que ie m'applique à la confideration des chofes matérielles, eft capable de me perfuader leur exiftence: car quand ie confiderc attentiuement ce que c'eft que l'imagination, ie trou- ue qu'elle n'eft autre chofe quvne certaine applica- tion de la faculté quiconnoift, au corps qui luy eft intimement prefent,& partant qui exifte.

Et pour rendre cela tres-manifefte \ ie remarque premièrement la différence qui eft entre l'imagina- tion , ôc la pure intellccliion , ou conception. Par exemple, lors que i'imagine vn triangle, ie nelecon- çoy pas feulement comme vne figure compofée & comprife de trois lignes, mais outre cela ie confi- dere ces trois lignes comme prefentes par la force ôc l'application intérieure de mon efprit ; ôc c'eft pro- prement ce que i'appelle imaginer. Que fi ie veux penfer à vn Chiliogone, ie conçoy bien à la vérité que ccft vne figure compofée de mille coftez,aufîi facilement que ie conçoy qu'vn triangle eft vne fi- gure compofée de trois coftez feulement, mais ie ne puis pas imaginer les mille coftez d'vn Chiliogone , comme ie fais les trois d'vn triangle, ny pour aini] dire, les regarder comme prefens auec les yeux de mon efprit. Et quoy que fumant la couftume que iay de me fexuir toufiours de mon imagination , lors que ie penfe aux chofes corporelles 3 il arriue qu'en conceuant vn Chiliogone ic me reprefente con- fufement quelque figure-, toutesfois il eft très eui- dent que cette figure n'eft point vn Chiliogone ;

puis

Sixième. 89

Puis qu'elle ne diffère nullement de celle que ie me reprefenterois, fi ie penfois à vn Myriogone, ou à quelque autre figure de beaucoup de coftez;& quel- le ne fert en aucune façon à découurir les proprietez qui font la différence du Chiliogone d'auec les autres Polygones.

Que s'il eft queftion de confidcrer vn Pentagone, il eft bien vray que ie puis conceuoir fa figure, aufll bien que celle d'vn Chiliogone, fans lefecoursde l'i- magination ;mais ie la puis aufli imaginer en appli- quant l'attention de mon efpnt à chacun de fes cinq codez , & tout enfcmble à. l'aire, ou à l'cfpa- ce qu'ils renferment. Ainfi ie connois clairement que i'aybefoin d'vne particulière contention d'efprit pour imaginer, de laquelle ie ne me fers point pour conceuoir ; & cette particulière contention d'efprit montre éuidemment la différence qui eft entre lima- gination, & rintellecl:ion,ou conception pure.

le remarque outre cela que cette vertu d'imaginer qui eft en moy, entant qu'elle diffère de la puiffan- ce de conceuoir , n'eft en aucune forte neceffaire à ma nature, ou à mon effence, c'eft à dire i TelTence de mon efprit: car encore que ie ne l'euffe point, il eft fans doute que ie demeurerois toufiours le mef- me que ie fuis maintenant : d'où il femble que Ton puiffe conclure qu'elle dépend de quelque chofequi diffère de mon efprit ; Et ie conçoy facilement que fi quelque corps exifte r auquel mon efprit foit con- joint & vny de telle forte, qu'il fe puiife appliquer

M

$ a Méditation

à le confiderer quand il luy plaift, if fepcut faire que- par ce moyen il imagine leschofes corporelles,en for- te que cette façon de penfer diffère feulement de la pure intellection , en cequel'efprit en conceuant fc tourne en quelque façon vers foy-mefme, & confî- dere quelqu'vne des idées qu'il y a en foy ; mais en imaginant il fe tourne vers le corps , & y confidere quelque choie de conforme à l'idée qu'il a formée de foy-mefme , ou qu'il a receuë par les fens. leçon- çoy, dif-je, aifement que l'imagination fe peut fai- re de cette forte, s'il eft vray qu'il y ait des corps ; Et parce que iene puis rencontrer aucune autrevoye pour expliquer comment elle fe fait, ie coniedture de la probablement qu'il y en a ;, Mais ce n'eft que probablement, & quoy que l'examine foigneufe- ment toutes chofes , ie ne trouue pas neantmoins que de cette idée diftinclie de la nature corporelle, que i'ay en mon imagination, ie puiife tirer aucun: argument qui conclue auec neceiïité l'exiftence de quelque corps.

Or i'ay accouftumé d'imaginer beaucoup d'autres chofes, outre cette nature corporelle qui eft lobjet de la Géométrie; à fçauoir,.les couleurs, les fons,. les. fàueurs,,la douleur, & autres chofes femblables-,quoy que moins diftiadte ment : Et d'autant que i'apper- çpy beaucoup mieux ces chofes-là par les fens, par 1 entremife defquels, & de la mémoire, elles femblentr. cftre paruenue iufqua mon .imagination •, ie croy que pour les examiner plus commodément, il eft à.

Sixième. pz

propos que l'examine en mefme temps ce que ceft que fentir, & que ie voye fi des idées que ie reçoy en mon efprit par cette façon de penfer, que Rappel- le fentir,ie puis tirer quelque preuuc certaine de l'exi- ftenec des chofes corporelles.

Et premièrement ie rappelleray dans ma mémoire quelles font les chofes que i'ay cy-deitant tenues pour vrayes, comme les ayant reccués par les fens, ôc fur quels fondemens ma créance cftoit appuyé ; En après i'examineray les raifons qui m'ont obligé depuis à les reuoquer en doute ; Et enfin ie confidereray ce que l'en dois maintenant croire.

Premièrement doneques i'ay fenty que i'auois vne tefte , des mains , des pieds, ôc tous les autres mem- bres dont eft compofé ce corps que ie confiderois comme vne partie de moy-mefme, ou peut-eftre au/Iî comme le tout: De plus i'ay fenty que ce corps eftoic placé entre beaucoup d'autres, defquels.il cftoit ca- pable de receuoir diuerfes commoditez ôc incom- moditez, ôc ie remarquois ces commoditez par vn certain fentiment de plaifir ou volupté, ôc les in- commoditez par vn fentiment de douleur. Et outre ce plaifir ôc cette douleur, ie reffentois auffi en moy la faim , la foif, ôc d'autres femblables appétits, com- me aufii de certaines inclinations corporelles vers la ioye, la trifteffe , la colère, ôc autres femblables paf- fions. Et au dehors outre l'extenfion , les figures, le-s mouuemens des corps, ie remarquois en eux de la dure- té j de la chaleur, ôc toutes les autres qualitez qui tom-

Mij

çz Méditation

b®nt fous l'attouchement ; De plusi'y remarquois de la lumière, des couleurs, des odeurs, des faueurs, Ôc des fons, dont la variété me donnoit moyen de di- ftinguer le Ciel, la Terre, la Mer, & généralement tous les autres corps les vns d'auec les autres.

Et certes confiderant les idées de toutes ces qua- litez qui fe prefentoient à ma penfée, & lefquelles feules ie fentois proprement & immédiatement, ce n'eftoit pas fans raifon que ie croyois fentir des cho- fes entièrement différentes de ma penfée, à fçauoir, des corps d'où procedoient ces idées j Car fex- perimentois qu'elles fe prefentoient à elle fans que mon confentement y fuft requis, en forte que ie ne pouuois fentir aucun objet, quelque volonté que i'en eufTe, s*il ne fe trouuoit prefent à l'organe d'vn de mes feus ; & il n'eftoit nullement en mon ppuuoir de ne le pas fentir, lors qu'il s'y trouuoit prefent

Et parce que les idées que ie receuois par les fens eftoient beaucoup plus viues, plus exprefles,& mef- me à leur façon plusdiftm&es, qu'aucunes de celles que ie pouuois. feindre de moy-mefme en méditant^ ou bien que ie trouuois imprimées en ma mémoire, ilfembloit quelles ne pouuoient procéder de mon el- prit. De façon qu'il eftoit ncccffaire qu'elles fufTent caufées en moy par quelques autres chofes : Defqucl- les choies n'ayant aucune connoiifance , fînon celle quemedonnoient ces mefmesidées,ilnemepouuoit venir autre chofe en l'efprit , finon que ces cho-

Sixième, ??

fcs-là eftoient femblables aux idcts quelles cau- foient.

Et pourcc que ie me reiTouuenois auffi queie m'e- ftois pluftoft feruy des fens, que de laraifon , & que ie reconnoiflbis que les idées que ie formois de moy- mcfme, n'eftoient pas fi cxprefTes, que celles que ie receuois par les fens, & mefme qu'elles eftoicnt le plus louuent compofées des parties de celles-cy, ie me perfuadois aifement que ie n'auois aucune idée dans mon efprit, qui n'euftpaffe auparauant par mes fens.

Ce neftoit pas auffi fans quelque raifon que ie croyois que ce corps ( lequel par vn certain droic particulier fappellois mien,) m'appartenoit plus pro- prement, & plus étroittement que pas vn autre; Car en erred: ie n'en pouuois iamais eftre feparé comme des autres corps : le reflentois en luy & pour luy tous mes appétits , & toutes mes affections \ & enfin i'eftois touché des fentimens de plaifir & de douleur en Ces parties, & non pas en celles des autres corps qui en font ieparez.

Mais quand i'examinois pourquoy de ce ie nefçay. quel fentiment de douleur fuit latrifteiTe en l'efpnt, & du fentiment de plaifir naift la ioye^ ou bien pour- quoy cette ie ne fçay quelle émotion de l'eftomac , que iappelle faim , nous fait auoir enuie de manger, & la fechereffe dugofier nous fait auoir enuie de boi- re, & ainfi du refte, ie n en pouuois rendre aucune raiion, finonque la nature me lenfeienoit de ia for- te j car il n y a certes aucune affinité ny aucun rap-

Mijj

94- Méditation

port , ( au rrvoirw que ie puiffe comprendre , ) entre cet- te émotion de feitomac & le defir de manger , non plus qu'entre le fenciment de la chofe qui caufe de la douleur, & la penfée de trifteife que fait naiftre ce fentiment. Et en mefme façon il me fembloit que i'a- uois appris de la nature toutes les autres chofes que ie iugeois touchant les objets de mes fens, pource cjue ie rcmarquois que les iugemens que i'auois cou- fèume de faire de ces objets, fe formoient en moy auant que i'eufle le loifir de pefer, & confiderer au- cunes raifonsqui nie peuiTent obliger à les faire.

Mais par après plufieurs expériences ont peu à peu ruiné toute la créance que i'auois adiouftée aux fens : Car i'ay obferué plufieurs fois que des tours qui de loin m'auoient femblé rondes, me paroifïoient de préseftre quarrées, & que des coloiTes éleuez fur les plus hauts fommets de ces tours, me paroifloient de petites ftatuës à les regarder d'embas ; & ainfi dans vne infinité d'autres rencontres , i'ay trouué de l'er- reur dans les iugemens fondez furies fens extérieurs; §c non pas feulement fur les fens extérieurs, mais mefme fur les intérieurs : Car y a-t'il chofe plus intime, ou plus intérieure que la douleur -, Et ce- pendant i'ay autresfois appris de quelques perfon- nes qui auoient les bras & les iambes coupées, quil leur fembloit encore quelquefois fentir de la dou- leur dans la partie qui leur auoit cfté coupée i Ce qui me donnoit fujet de penfer,que ie ne pouuois auiîï eitre aifeuré d'auoir mal à quelqu'vn de nies membres,

Sixième. py

cruoy que ie fentiffe en luy de ladouleur.

Et à ces raifons de douter i'en ay encore adioufté depuis peu deux autres fort générales. La première eft, que ie n'ay iamais riencreu fentir eftant éueillé,quc ie ne puifle auffi quelquefois croire fentir quand ie dors 'r Et comme ie ne eroy pas que les chofes qu'il me femble que ie fens en dormant, procèdent de quelques objets hors de moy , ie. ne voyois pas pour- quoy ie deuois pluftoft auoir cette créance, touchant celles qu'il me femble que ie fens eftant éueiHé. Et la féconde, que ne connoirTant pas encore , ou plu- ftoft feignant de nepasconnoiftiejautheur de mon eftre, ie ne voyois rien qui peuft empefeher que ie n'eufle efté fait tel par la nature , que ie me trom- pafîe mefme dans les chofes qui me paroiffoient les plus véritables.

Et pour les raifons qui m'auoyent cy-dêuanr per- fuadé la vérité des chofes fenfibles, ie n'auois pas beaucoup de peine à y refpondre. Car la nature femblant me porter a beaucoup de chofes dont la raifon medétournoit,ic necroyois pas me deuoir con- fier beaucoup aux enfeignemens de cette nature. Et quoy que les idées que iereçoypar les fens ne dépen- dent pas de ma volonté, ie ne penfois pas que l'on' deuft pour cela conclure qu'elles procedoicnt de cho- fes différentes de moy, puis que peut- eftre il fe peut rencontrer en moy quelque faculté ( bien quelle m'ait efté îufques icy inconnue.) qui en ïoit lacaufe,. & qui les produiie.

$6 Aieditation

Mais maintenant que ie commence à me mieux connoiftre moy-mefme, découurir plus claire- ment l'autheur de mon origine, ie ne penfe pas à la evrité que ie doiue témérairement admettre toutes les choies que les fens femblent nous enfeigner; mais ie ne penfe pas aulîi que ie les doiue toutes généra- lement reuoquer en doute.

Et premièrement, pource que ie fçay que toutes les chofes que ieconçoy clairement Se diftinclement, pçuuent eftre produites par Dieu telles que ie lescon- çpy, il fuffit que ie puiffe conceuoir clairement & diftin&ementvnc chofe fans vne autre, pour eftre certain que l'vne eft diftincte ou différente de l'au- tre : parce quelles peuuent eftre po fées feparement au moins par la toute puiiTance de Dieu ; & il n'im- porte pas par quelle puiffance cette feparation fe face, pour mobliger à les iuger différentes : Et partant de cela mefme que ie connois auec certitude que i'exi- fte, &c que cependant ie ne remarque point qu'il ap- partienne neceffairement aucune autre choie à ma nature, ou à mon eiTence,finon que ie fuis vne cho- fe qui penfe, ie conclus fort bien que mon cffcncc confifteen cela feul,que iefuis vne chofe qui penfe y ou vne fubftance dont toute l'effence ou la nature n'eftquedepenfer. Et quoyque peut- eftre fou plu- toft certainement, comme ie le diray tantoft ) iaye vn corps auquel iefuis tres-étroittement conioint ; neantmoins pouceeque d'vn cofté i'a-y vne claire &: diftin&e idée de moy-mefme, entant que ie fuis feu- lement

Sixième. 97

lement vnc chofe qui penfe &; non étendue, & que d'vn autre i'ay vne idée diftinûe du corps , entant qu'il eft feulement vne chofe étendue & qui ne pen- fe point, il eft certain que ce moy, ceft à dire mon amc, par laquelle ie fuis ce que ie fuis , eft entièrement & véritablement diftin&e de mon corps, & quelle peut eftre, ou exifter fans luy.

Dauantage ie trouue en moy des facultez depenfer toutes parriculieres , &diftin£tes de moy , à fçauoir les facultez d'imaginer & de fentir , fans lefqucls ie puis bien me conceuoir clairement & diftin&emcnt tout entier, mais non pas elles fans moy, c eft à dire fans vne fubftance intelligente à qui elles foient attachées: Car dans la notion que nous auons de ces facultez, ou, ( pour me feruir des termes de l'école) dans leur concept formel , elles enferment quelque forte dm- tellcdtion : d'où ie conçoy quelles font diftin&es de moy, comme les figures, les mouuemens,& les autres modes ou accidens des corps., le font des corps mefmes qui les fouftiennent.

le reconnoisaufîîcn moy quelques autres facultez comme celles de changer de lieu, de fe mettre cnplu- fieurs pofturcs, & autres femblables, qui ne peuuent eftre conccuê's , non plus que les précédentes , fans quelque fubftance à qui elles foient attachées , ny par confequent exifter fans elle, mais il eft treséuident que ces facultez ; s'il eft vray qu'elles exiftent, doiuent eftre attachées à quelque fubftance corporelle, ou étendue, & non pas à vne fubftance intelligente .-Puisque dans

N

$8 Méditation

leur concept clair &diftin<Sfc, il y a bien quelque for- ted'extenfion qui fe trouue contenue, mais point du tout d'intelligence. De plus il fe rencontre en moy Vfic certaine faculté pafïiue de fentir, c'eft à dire de receuoir & de connoiftre les idées des chofes fenfibles , mais elle me leroit inutile, & ic ne m'en pourois au- cunement feruir , s'il n'y auoit en moy, ou en au- truy, vne autre faculté actiue, capable de former & produire ces idées. Or cette faculté a£tiue ne peut cftre en moy entant que ie ne fuis qu'vnc chofe qui penfc, veu qu'elle ne prefupofc point ma pentée, & aufli que ces idées- me font fouuent reprefentées fans que l'y contribue en aucune forte, & mefme fou- uent contre mon gré ; il faut donc neceiTairement quelle foit en quelque fubftance différente de moy, dans laquelle toute la réalité , qui eft obiecliiuement dans les idées qui en font produites, foit contenue formellement ou euidemment ; ( comme ie lay re- marqué cy-deuant : ) Et cette fubftance eft ou vn corps, c'eft à dire vne nature corporelle, dans laquel- le eft contenu formellement & en effecT: , tout ce qui eft objectiuement & par reprefentation dans les idées 5 ou bien c'eft Dieu mefme, ou quelqu'autrc créature plus noble que le corps, dans laquelle cela mefme eft contenu éminemment.

Or Dieu n'eftant point trompeur, il eft très- ma- nifefte qu'il nem'enuoye point ces idées immédiate- ment par luy - mefme , ny auffi par l'entrernife de quelque créature, dans laquelle leur realité ne foit

Sixième. yp

pas contenue formellement, mais feulement émi- nemment. Car ne m'ayant donné aucune faculté pour connoiftre que cela foit,mais au contraire vnc très grande inclination à croire quelles me font en- uoyées, ou qu'elles partent des choies corporelles , ic ne voy pas comment on pouroit lexcufer de trom- perie , en effect ces idées partoient, ou cftoient pro- duites par d'autres caufes que par des chofes corpo- relles : Et partant il faut confeiTer qu'il y a des cho- fes corporelles qui exiftent.

Toutesfois elles ne font peut-eftre pas entière- ment telles que nous les apperceuons par les fens, car cette perception des fens eft fort obfcure & con- fufe en plufieurs chofes : mais au moins faut-il auoiier que toutes les chofes qne i'y conçoy claire- ment & diftin£tement, ceft à dire toutes les chofes généralement parlant, qui font comprifes dans l'objet de la Géométrie fpeculatiue , s'y retrouuent vérita- blement. Mais pour ce qui eft des autres chofes, les- quelles ou font feulement particulières , par exem- ple, que le Soleil foit de telle grandeur, & de telle figure, &c. ou bien font conceuës moins clairement & moins diftin&ement, comme la lumière, le fon, la douleur, & autres femblablcs, il eft certain qu'en - core qu'elles foient fort douteufes& incertaines, tou- tesfois de cela feul que Dieu n'eft point trompeur, & que par confequent il n'a point permis qu'il peuft y auoir aucune faufTeté dans mes opinions, qu'il ne m'ait auiïî donné quelque faculté capable de la cor-

Nij

lo o Méditation

riger, ie croy pouuoir conclure affurement, que i'ay en moy les moyens de les connoiftre auec certi- tude.

Et premièrement il n'y a point de doute que touc ce que la nature m'enfeigne contient quelque vérité: Car par la nature confiderée en gênerai , ie n entens maintenant autre chofe que Dieu mefme, ou bien Tordre & la difpofition que Dieu a établie dans les chofes créées i Et par ma nature en particulier , ie n'entens autre chofe que la complexion ou Pàflem- blage de toutes les chofes que Dieu m'a données.

Or il n'y a rien que cette nature m'enfeigne plus expreffement, ny plus fenfiblement, finon que iay vn corps qui eft mal difpofé quand ie fens de la dou- leur s qui a befoin de manger ou de boire, quand iay les fentimens de la faim ou de la foif, &c. Et par- tant ie ne dois aucunement douter qu'il n'y ait en cela quelque vérité.

La nature m'enfeigne auffi par ces fentimens de douleur, de faim , de foif, fisc. Queiene fuis pas feu- lement logé dans mon corps , ainfi qu'vn pilote en fon nauire, mais outre cela que ie luy fuis conioint tres-étroittement,& tellement confondu & meflé, que ie compofe comme vn feul tout auec luy. Car fi cela n'eftoit lorsque mon corps eft bleffé,ie ne fen- îirois pas pour cela de la douleur,moy qui ne fuis qu'v- ne chofe qui penfe, mais faperçeurois cette bleflure par le feul entendement, comme vn pilote apperçoit parla veuë fi quelque chofe fe rompt dans fon vaiifeau;

Sixième.

loi

Et lors que mon corps abefoin de boire ou de man- ger, ie connoiftrois fimplcment cela mcfme, fans en eftrc auerty par des fentimens confus de faim & de foif. Car en effecl: tous ces fentimens de faim , de foif, de douleur, &c. ne font autre chofe que de certaines façons confufes de penfer,qui prouiennent & dépendent de l'vnion, & comme du mélange de 1 efprit auec le corps. .

Outre cela la Nature m'enfeigne que plufieurs au- tres corps exiftent autour du mien, entre lefquels ie dois pourfuiurc les vnsy & fuir les autres. Et certes de ce que ie fens différentes fortes de couleurs , d'odeurs, de faueurs, de fons, de chaleur, de dureté, &c. le con- clus fort bien qu'il y a dans les corps, d'où procèdent toutes ces diuerfes perceptions des fens , quelques va- rietez qui leur répondent, quoy que peut- eftre ces varietez ne leur foient point en eifecl: femblablcs -y Et auflî de ce qu'entre ces diuerfes perceptions des fcns> les vnes me font agréables & les autres defagreables, ie puis tirer vne confequence tout à fait certaine, que mon corps ( ouplutoft moy-mefmi tout entier, en- tant que ie fuis compofé du corps & de lame ) peut reccuoir diuerfes commoditez ou incommoditez des autres corps qui l'enuironnent.

Mais il y aplufieurs autres chofes qu'il femble que lanature m'ait enfeignées, lcfquellestoutesfois ie n'ay pas véritablement receues d'elle, mais qui fe font intro- duites en mon Efprit, par vne certaine coutume que i'ay de iuçer inconfîderement des choies , & ainil- il

N ii)

lo 2 Méditation

peut ayfément arriuer qu'elles contiennent quelque faufTeté. Comme, par exemple, l'opinion quei'ay que tout efpace dans lequel il n'y a rien qui meuue , & face imprefiion fur mes fens , foit vuide ; Que dans vn corps qui eft chaud, il y ait quelque chofe de femblable à l'idée de la chaleur qui eft en moy ; que dans vn eorps blanc ou noir, il y ait la mefme blancheur ou noirceur que iefens; Que dans vn corps amer ou doux, il y ait le mefme goult ou la mefme faueur,&ainfi des au- tres ; Que les Aftres , les Tours , & tous les autres corps cfloignez foient de la mefme figure , & grandeur, qu'ils paroiiTcnt de loin à nos yeux, &c.

Mais afin qu'il n'y ait rien en cecy que ie ne con- çoiuediftin&ementjie dois precifement définir ce que i'entens proprement lors que ie dis que la nature m'en- feigne quelque chofe -, Car ie prens icy la nature en vne fïo-nification plus relTerrée , que lors que ie l'appelle vn aiTemblage , ou vne complexionde toutes les cho- fe que Dieu m'a données ;veu que cet aiTemblage ou complexion comprend beaucoup dechofes qui n'ap- partiennent qu'àNTEfprit feul, defquelles ie n'entens point icy parler, en parlant de la nature : Comme, par exemple , la notion que i'ay de cette vérité , que ce qui a vne fois efté fait ne peut plus n'auoir point efté fait,& vne infinité d'autres femblables, que ie con- nois par la lumière naturelle fans laydedu corps; & qu'il en comprend aufîi plufieurs autres qui n'appar- tiennent qu'au corps feul , ôc ne font point icy non plus contenues fous le nom dénature; comme laqua-

Sixième. j0j

lité qu'il a d'eftrc pefant, & pluficurs autres fembla- bles , defquellcs ie ne parle pas aufîî , mais feulement des chofes que Dieu m'a données, comme cftant com- pofé de l'efprit & du corps. Or cette nature m'ap- prend bien à fuir les chofes qui caufent en moy le fentiment de douleur , &a me porter vers celles qui me communiquent quelque fentiment de plaifir> mais ie ne voy point qu'outre cela elle m'apprenne que de ces diuerfes perceptions des fens nous deuions iamais rien conclure touchant les chofes qui font hors de nous, fans que l'efprit les ait foigneufement & meu- rcment examinées ; Car c'eft ce me femble à l'efprit feul , & non point au compofé de l'efprit & du corps, qu'il appartient de connoiftre la vérité de ces cho- fes-là.

Ainfi quoy qu'vne eftoille ne face pas plus dim- prelTion en mon oeil que le feu d'vn petit flambeau , il n'y a toutesfois en moy aucune faculté réelle, ou na- turelle, qui me porte à croire qu'elle n'eft pas plus grande que ce feu, mais ie lay iugé ainfï dés mes pre- mières années fans aucun raifonnable fondement 5 Et quoy qu'en aprochant dufeuie fente de la chaleur, & mefme que m'en approchant vn peu trop présicref- fente de la douleur : Il n'y a toutesfois aucune raifon qui me puiiTe perfuader qu'il y a dans le feu quelque chofe de femblable à cette chaleur, non plus qu a cette douleur: mais feulement i'ay raifon de croire qu'il y a quelque chofe en luy, quelle qu'elle pu.lîe eftrc , qui excite en moy ces fentimens de chaleur , ou de douleur.

lo ^ Méditation

De mefme auffi quoy qu'il y ait des efpaccs dans lefquels ie netrouue rien qui excite &meuuc mes fens, ie ne dois pas conclure pour cela que ces efpaccs ne contiennent en eux aucun corps \ mais ie voy que tant encecy, qu'en plufieurs autres chofes femblables, i'ay accouftumé de peruertir & confondre l'ordre de la nature: parce que cesfentimens , ou perceptions des fens n'ayant efté mifes en moy que pour lignifier à mon efprit quelles chofes font conuenables ou nui- sibles au compofé dont il eft partie , & iufques eftant affez claires , & allez diftinfàes , iem'en fers neantmoins comme fi elles eftoient des règles très- certaines , par lefquelles ie peuffe connoiftreimme^ diatement ï cflerièe , & la nature des corps qui font hors de moy , de laquelle toutesfois elles ne mepeu- uent rien enfeigner que de fort obfcur>cx: confus.

Mais i'ay defia cy-deuant affez examiné , comment, nonobstant la fouueraine bonté de Dieu , il arriue qu'il y ait delà fauffeté dans les iugemens que ie fais en cette forte. Il fe prefente feulement encore icy vnc difficulté touchant les chofes que la nature m'en- feigne deuoir eftre fuiuies , ou euitées , & auflî tou- chant les fentimens intérieurs qu'elle a mis en moy; car il me femble y auoir quelquefois remarqué de l'erreur, & ainfi que ie fuis directement trompé par ma nature. Comme , par exemple, le gouft agréable de quelque viande en laquelle on aura méfié du poi- fon , peut nvinuiterà prendre ce poifon,&ainfi me cromper. Il eft vray toutesfois qu'en cecy la nature

peut

Sixième. /o/

peut eftre exeufée, car clic me porte feulementàde- iîrer la viande dans laquelle ie rencontre vne faueur agréable, & non pointa defirer le poifon, lequel luy eft inconnu : De façon que ic ne puis conclure de cecy autre chofe, finon que ma nature ne con- noift pas entièrement & vniuerfcllement toutes chofes : Dequoy certes il n'y a pas lieu de s'efton- ner , puis que l'homme eftaiit d'vne nature finie, ne peut aufTi auoirquVnc connoiffance d'vne perfe- ction limitée.

Mais nous nous trompons aufïî afTez fouuent , mef- me dans les chofes auxquelles nous fommes directe- ment portez par la nature, comme il arriuc aux ma- lades lors qu'ils défirent de boire , ou de manger des chofes qui leur peuucnt nuire. On dira peut-eftre icy que ce qui eft caufe qu'ils fe trompent, eft que leur nature eft corrompue ; mais cela n ofte pas la difficulté, parce quvn homme malade n'eft pas moins véritablement la créature de Dieu , qu'vn homme qui eft en pleine fanté, & partant il répugne autant à la bonté de Dieu , qu'il ait vne nature trompeufe, &fautiue, que l'autre. Et comme vne horloge com- poféc de roues & de contrepoids , n'obferue pas moins exactement toutes les loix de la nature , lors qu'elle eft mal faite, & qu'elle ne montre pas bien les heures, que lors qu'elle fatisfait entièrement au defir de l'ouurier ; De mcfmc auiïî fi ie confidere le corps de l'homme, comme eftant vne machine tel- lement baftie & compoféc dos, de nerfs, de mufcles

O

/o*f Méditation

de veines, de fang, & de peau, qu'encore bien qu'il n'y euft en luy aucun efprit , il ne lairroit pas de fe mouuoir en toutes les mefmes façons qu'il fait à prefent, lors qu'il ne fe meut point par la direction de volonté, ny par confequent par laide de l'ef- prit, mais feulement par la difpofîtion de fes orga- nes , ie reconnois facilement qu'il feroit aufTi natu^ rel à ce corps, eftant par exemple hydropique, de fouf- fiïr la fechereffe du gozier, qui à couftume defigni- fier à l'efprit le fentiment de la foif , & d'eftre difpo- par cette fecherefTe à mouuoir fes nerfs , & les autres parties, en la façon qui eft requife pour boire, &ainfî d'augmenter fon mal, & fe nuire à foy-mefme, qu'il luy efl: naturel, lors qu'il n'a aucune indifpofition , d'e- ftre porté à boire pour fon vtilité par vne femblable fecherefTe de gozier. Et quoy que regardant à l'vfage au- quel 1 horloge à efté deftinée par fon ouurier , ie puif- fe dire quelle fe détourne de fa nature ,.. lors qu'elle ne marque pas bien les heures ; Et qu'en mefme fa- çon confiderant la machine du corps humain, com- me ayant efté formée de Dieu pourauoir en foy tous les mouuemens qui ont couftume d'y eftre, i'aye fu- jet de penfer qu'elle ne fuit pas l'ordre de fa natu- re, quand fon gozier eft fec, & que le boire nuit à fa conferuation j ie reconnois toutesfois que cette der- nière façon d'expliquer la nature eft beaucoup dif- férente de l'autre j Car celle-cy n'eft autre chofe qu'y- ne fimple domination, laquelle dépend entièrement ^e ma penfée, qui compare vn homme malade â£

Sixième. ioy

vne horloge mal faite, auec l'idée queiay d'vn hom- me fain , & d'vne horloge bien faite , & laquelle ne ficrnifie rien qui fe retrouue en la chofe dont elle fe die -, au lieu que par l'autre façon d'expliquer la nature , ientens quelque choie qui fe rencontre véritable- ment dans les chofes, & partant qui n'eft point fans quelque veriré.

Mais certes quoy qu'au regard du corps hydropi- que, ce ne foit qu'vne dénomination extérieure, lors qu'on dit que fa nature eft corrompue , en ce que fans auoir befoin de boire, il ne laine pas d'auoir le gozier fec, & aride ; Toutesfois au regard de tout le compofé,ceft à dire de l'efprit, ou de famé vnieàce corps-, ce n'eft pas vne pure dénomination, mais bien vne véritable erreur de naturc,en ce qu'il a foif,lors qu'il luy eft très nuifiblc de boire \ & partant il refte encore à examiner, comment labonté de Dieu n'empefche pas que la nature de l'homme prife de cette forte foit fau- tiuc,&trompeufè.

Pour commencer donc cet examen, ie remarque icy premierement,qu il y a vne grande différence entre l'ef- prit & le corps, en ce que le corps de fa nature eft touf- îours diuifible,& que l'efprit eft entièrement indmifi- ble;careneffecl: lors que ie confîdere mon efprit, c'efli à dire moy mefme entant que ie fuis feulemét vne cho- fe qui penfe,ie n'y puis diftingueraucunesparties, mais ie me conçoy comme vne chofe feule, & entière : Et quoy que tout l'efprit fembleeftre vnyà tout le corps, toutesfois vn pied, ou vn bras, ou quelqu'autre partie

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io8 Méditation

eftantfeparéc de mon corps, il cft certain que pour cela il n y aura rien de retranché de mon cfprit -, Et les facul- tezde vouloir, de fentir, de conccuoir,&c ne peuuent pas proprement eftre dites fes parties : Car le mefmc es- prit s'employe tout entier à vouloir, cVauflî tout entier àfentir,àconceuoir, &c. Mais c'eft tout le contraire deschofes corporelles, ou eftenducs : car il n'y en a pas vne que ie ne mette aifement en pièces par ma penfée , que mon efprit ne diuife fort facilement en plufieurs parties, & par confequentqueie ne connoiffe cftre di- uifible. Ce qui fuffiroit pour m'enfeigner que lefprit, ou lame de l'homme eft entièrement différente du corps,fi ienc l'auois défia d'ailleurs affez appris.

le remarque aufll que fefprit ne reçoit pas immédia- tement l'impreflion de toutes les parties du corps, mais feulement ducerueau, ou peut eftre mefme d'vne de fes plus petites parties , à fçauoir > de celle ou s'exerce cette faculté qu'ils appellent le fens commun, laquelle toutes les fois quelles cft difpofée de mefme façon , fait fentir la. mefme chofe à Tefprit , quoy que cepen- dant les autres parties du corps puilTent eftre di- ïierfement chfpo fées ,, comme le témoignent vne in- finité d expériences, lefquelles il n-eft pas icy befoin. de rapporter*

le remarque outre cela que la nature du corps elt telle, qu'aucune de fes parties ne peut- eftre meuë par vne autre partie vn peu efloignée , qu elle ne le puilTe cftre auffi de la mefme forte, par chacune des gardes qui font entre deux, quoy que cette partie

Sixième. 109

plus efloignéc n a gifle point. Comme, par exemple > dans la corde A B CD qui eft toute tendue j fi l'on vient à tirer &• remuer la dernière partie D. la pre- mière A. ne fera pas remuée dvne autre façon, qu'on la pouroit aufli faire mouuoir , fi on droit vne des parties moyennes, B. ou C. & que la dernière D. de- meurai!: cependant immobile. Et en mefme façon quand ie reiTens de la douleur au pied , la Phyfique m'apprend que ce fentiment fe communique par le moyen des nerfs difperfez dans le pied, qui fe trou- uant étendus comme des, cordes depuis iufqu'au cerueau,lors qu'ils font tirez dans le pied, tirent aufïl en mefme temps l'endroit du cerueau d'où ils vien- nent, & auquel ils aboutiffent, & y excitent vn cer- tain mouuement que la nature a inftitué pour faire fentir de la douleur à Tefprit, comme fi cette dou- leur eftoit dans le pied j Mais parce que ces nerfs , doiuent paffer par la iambe , par la cuiffe , par les reins, par le dos, de parle col, pour s'eftendre depuis le pied iufqu'au cerueau , il peut arriuer qu'encore bien que leurs extremitez qui font dans le pied ne foient point remuées, mais feulement quelques vnes de leurs parties qui paffent par les reins , ou par le col , cela neantmoins excite les mefmes mouuemens dans le cerueau, qui pouroient y'eftre excitez par vne blef- fiire receue dans le pied; en fuitte dequoy il fera ne- ceflaire que l'efprit relTente dans le pied, la mefme douleur que s'il y auoit receuvne bleiTure:E t il faut iuger le fernblable de toutes les autres perceptions de nos fens,

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no Méditation

Enfin ie remarque, que puifque de tous les mou- u&mens qui fe font dans la partie du cerueau, dont lef- prit reçoit immédiatement Wmpreftîon, chacun ne caufe qu'vn certain fentimcnt, on ne peut rien en ce- la fouhaitter ny imaginer de mieux , finon que ce mouuement face reffentir à Fefprit , entre tous les fentimens qu'il eft capable de caufer, celuy qui eft le plus propre, &le plus ordinahement vtile à la confer- nation du corps humain, lors qu'il eft en pleine fan- té. Or l'expérience nous fait connoiftre , que tous les fentimens que la nature nous a donnés font tels que ie viens dire : Et partant il ne fc trouue rien en eux, qui ne face paroiftre la puifTance, & la bonté du Dieu qui les a produits.

Ainfi, par exemple, lors que les nerfs qui font dans le pied font remuez fortement, & plus qu'à l'ordi- naire, leur mouuement parlant par la mouelle de la- pine du dos iufqu'au cerueau , fait vne impreffion à l'efprit qui luy fait fentir quelque chofe , à fçauoir de la douleur, comme eftant dans le pied, par la- quelle l'efprit eft auerty , & excité à faire fon poflîble pour en chaffer la caufe, comme très- dangereufe & nui- iîble au pied.

Il eft vray que Dieu pouuoit eftablir la nature de 1 homme de telle forte , que ce mefme mouuement dans le cerueau fift fentir toute autre chofe à l'efprit : Par exemple, qu'il fe fift fentir foy-mefmc , ou en- tant qu'il eft dans le cerueau, ou entant qu'il eft dans le pied, ou bien entant qu'il eft en quelqu autre en-

Sixième. jfI

droit entre le pied 3c le cerueau , ou enfin quelque autre chofe telle qu'elle peuft élire $ mais rien de tout cela n'euft fi bien contribué à la conferuation du corps, que ce qu'il luy fait fentir.

De mefme lors que nous auons befoin de boire, il n aift de vne certaine fechcreffe dans le gozier, qui remué fes nerfs, & par leur moyen les parties inté- rieures du cerueau, & ce mouuement fait reflentir à l'efprit le fentiment de la foif, parce qu'en cette oc- canon-là, il n'y a rien qui nous foit plus vtile , que de fçauoir que nous auons befoin de boire, pour la conferuation de noftre fanté, & ainfî des autres

D'où il eft entièrement manifefte,que notiobii.-int la fouueraine bonté de Dieu, la nature de l'hornir.e entant qu'il eft compofé de l'efprit & du cofp , ne peut qu'elle ne foit quelquefois fautiue, & nom- peufe.

Car s'il y a quelque caufe qui excite, non dans le pied, mais en quelqu vne des parties du nerf, qui eit tendu depuis le pied iufqu'au crueau, ou mcfmedans Je cerueau > le mefme mouuement qui fe fait ordi- nairement quand le pied eft mal difpofé, on fendra de la douleur comme fi elle eftoit dans le pied, & le fens fera naturellement trompé ; parce quvn mefme mouuement dans le cerueau ne pouuant caufer en l'ef- prit qu'vn mefme fentiment, &• ce fentiment cfhne beaucoup plus fouuent excité pat vne caufe qui blef- fe le pied, que par vne autre qui foit ailleurs , il eft bien plus raifonnable qu il porte à l'efprk la duukut

ii2 Méditation

du pied, que celle d aucune autre partie. Et quoy que la fechereffe du gozier ne vienne pas toufiours, com- me à l'ordinaire, de ceque le boire eft neceffairepour la fanté du corps, niais quelquefois dvne caufe tou- te contraire ^ comme expérimentent les hydropiques; Toutesfois il eft beaucoup mieux qu elle trompe en ce rencontre- là, que fi au contraire elle trompoit toufiours lors que le corps eft bien difpofé, & ainfi des autres.

Et certes cette confideration me fert beaucoup, non feulement pour reconnoiftre toutes les erreurs auf~ quclles ma nature eft fujette, mais aufïï pour les eui- ter , ou pour les corriger plus facilement : car fça- çhantque tous mes fensme (îgnifient plus ordinaire- ment levray que le faux, touchant les chofes qui re- gardent lesçommoditez ou incommoditez du corps, & pouuant prefque toufiours me feruir de plufieurs d'entre eux, pour examiner vnc mefme chofe, & outre cela pouuant vfer de ma mémoire pour lier & ioin- dre les connoiflances prefentes aux paiïees, & de mon entendement qui a défia découuert toutes les caufes de mes erreurs, ie ne dois plus craindre déformais qu'il fe rencontre de la fauiTete dans les chofes qui me font le plus ordinairement reprefentées par mes fens, & ie dois rejetrer tous les doutes de ces iours paffez , comme hyperboliques, & ridicules > particulièrement cette incertitude fi générale touchant lefommeil,quc ie ne pouuois diftinguer de la veille. Car à prefent i'y rencontre vne tres-notable différence , en ce que no -

ftre

Sixième. Hj

ftre mémoire ne peut iamais lier & ioindre nos lon- ges les vqs aux autres , & aucc toute la fuitte de no- ftrevie, ainfi quelle a de couftume de ioindre les chofes qui nous arriuent eftant éueillés : Et eneifeft fi quelqu'vn lorsque ie veille m'apparoifloit toutfou- dain, & difparoiffoit de mefme, comme fondes ima- ges que ie voy en dormant, en forte que ie ne puf- ic remarquer ny d!où il viendroit , ny il iroit, ce ne feroit pas fans raifon , que ie l'eftimerois vn fpe&re ou vn phantofme formé dans mon cerueau, ôc femblablc à ceux qui s'y forment quand ie dors , pluftoft quvn vray homme. Mais lors que i'aper- çoy des chofes dont ie connois diftincliement & le lieu d'eù elles viennent, & celuy elles font, & le temps auquel elles m'aparoitTent, & que fans aucu- ne interruption ie puis lier le fenciment que i'en ay, auec la fuitte du relie de ma vie, ie fuis entièrement aiTeuré que ie les apperçoy en veillant, & non point dans le fommeil. Etie ne dois en aucune façon dou- ter de la vérité de ceschofcs-là, fi après auoir appelé tous mes fens , ma mémoire , & mon entendement pour les examiner, il ne m'eft rien rapporté par au- cun d'eux, qui ait de la répugnance auec ce qui m'eft raporté par les autres. Car de ce que Dieu n'eft point trompeur, il fuit neceflairement que ie ne fuis point en cela trompé.

Mais parce que la neceflité des affaires nous obli- ge fouuent à nous déterminer, auant que nous ayons eu le loifir de les examiner h foigneufement, il faut

P

jia Méditation

auoiïer que la vie de l'homme eft fujette à faillir fort fouuentdans les chofes particulières; §c enfin il faut reconnoiftre l'infirmité, & la foiblefle denoftre

nature.

F I N.

xiy

OBIECTIONS

FAITES PAR DES PERSONNES

tres-do6tes, contre les précédentes Méditations , auec les répon- ces de l'Auteur.

PREMIERES OBIECTIONS. D'vn fçauant Théologien du Pays-bas.

ESSIEVRS,

Aufli-toft que i'ay reconnu le defir que vous auiez que i'examinafle ïoigneufement les écrits de Monfieur def-Cartes , i*ay penfé qu'il eftoit de mon dcuoir de fatisfaire en cette occaiion à des per- sonnes qui me font fi chères, tant pour vous témoi-

pij

Objections .

gticr par là, l'eftime que ie fais de voftre amitié, que pour vous faire connoiftre ce qui manque à ma fuffifanec , & à la perfection de mon efprit j afin que dorefnauanc vous ayez vn peu plus de charité pour moy , fi i'en ay befoin , ôc que vous m'épargniez vnc autrefois, fi ic ne puis porter la charge que vous ma- uez impofée.

On peut dire auec vérité félon que l'en puisiuger, que Monfieur def- Cartes eft vn homme d'vn très- grand efprit, & d'vne très-profonde modeftie , & fur lequel ie ne penfe pas que Momus le plus medi- fant de fon ficelé peuft trouuer à reprendre : le pen- fe, dit-il, dont ie fuis, voire mefme ie fuis la pen- fée mefme, ou l'efprit, cela eft vray : Or eft-il qu'en penfant i'ay en moy les idées des chofes , & pre- mièrement celle d'vn eftre tres-parfait, & infiny, ie l'accorde : Mais ie n'en fuis pas la caufe , moy qui n'égale pas la réalité objectiuc dvnc telle idée; donc- ques quelque chofe de plus parfait que moy en eft caufe; & partant il y a vn eftre différent de moy qui exifte, & qui a plus de perfections que ie nay pas. Ou comme dit Saint Denis au Chapitre cinquicfme des noms diuins , il y a quelque nature qui ne pof- fede pas l'eftrcàla façon des autres chofes x mais qui embraffe & contient en foy tres-fimplement , & fans aucune circonfeription, tout ce qu'il y a d'efTence dans l'eftre, & en qui toutes chofes font renferme'cs com- me dans vnc caufe première, & vniuerfellc. Mais ic fuis icy contraint de nvarrefter vn peu, de peur de

Premières. 117

me fatiguer trop : Car fay défia lefprit auflî agite que le natant Euripe : l'accorde, ie nie, iapprouuc, ie réfute, ie ne veux pas m'efloigner de l'opinion de ce grand homme, & t.outesfois ie n'y puis confentir. Car, ie ne vous prie, quelle caufe requiert vnc idée? Ou dites- moy ce que c'eft qu'idée : Q'eft donc la ebo- Pensée ^entant quelle efl objccîiuement dans l'entendement. Mais qu'eft-ce qu eftre obj écoulement dans l'enten- dement ? Si ie l'ay bien appris : C'eft terminer à la façon dvn objet l'acte de l'entendement , ce qui en effedt n'eft quvne dénomination extérieure, & qui n'adjoufte rien de réel à la chofe. Car tout ainfi qu'eftre veu, n'eft en moy autre chofe finon que fa- de que la vifion tend vers moy , de mefme eftre penfé, ou eftre objectiuement dans l'entendement, c'eft terminer & arrefter en foy la penfée de l'cfprit 5 ce qui fc peut faire fans aucun mpuuement & chan- gement en la chofe, voire mefme fans que la chofe foit. Pourquoy donc recherchay-je la caufe d'vne chofe, qui actuellement n'eft point, qui n'eft quv- ne fîmple dénomination, & vn pur néant.

Et neantmoins , dit ce grand efprit, afin qu'une idée contienne une realité objefliuc pluftojt qunjne autre, elle doit fan s doute auoir cela de quelque caufe. Au contraire d'aucune : car la réalité objectiuc eft vne pure dé- nomination , actuellement elle n'eft point. Or l'in- fluence que donne vnc caufe eft réeHe , & actuelle: Ce qui actuellement n'eft point ne la peut pas rece^- uoir3 & partant ne peut pas dépendre , ny procéder r

h 8 Objections

d'aucune véritable caufe, tant s'en faut qu'il en re- quière. Donccjues i'aydes idées, mais il n'y a point de caufes de ces idées : tant s'en faut qu'il y en ait vue plus grande que moy , & infinie. Mais quel- qu'vn me dira peut-eftre, fi vous ne donnez point ]a caufe des idées, donnez au moins la raifon pour- quoy cette idée contient plutoft cette réalité obje- <àiuc que celle la ; c'cft très-bien dit : Car ie n'ay pas coùftume d'eftre referué auec mes amis, mais ie traittc auec eux libéralement. le dis vniuerfclle- ment de toutes les idées, ce que Monfieur def-Car- tes à dit autrefois du triangle : Encore que peut-ejtre, dit- il, il n'y ait en aucun lieu du monde hors de ma pen- fêe 'vne telle figure , $f au il n'y en ait iamais eu , il ne laijje pas néanmoins dj auoir <vne certaine nature > ou for- me tou effence déterminée de cette figure, laquelle eft immua- ble, & éternelle. Ainfi cette vérité eft éternelle, & elle ne requiert point de caufe. Vn bateau eft vn ba- teau, & rien autre chofc ; Dauus eft Dauus,& non Oedipus. Si neantmoins vous me preiTez de vous dire vne raifon : le vous diray que c eft 1 imperfe- ction de noftre efprit qui n'eft pas infiny : Car ne pouuant par vne feule apprehenfion embraffer IV- niucrfel, qui eft tout enfemble, & tout à la fois, il Je diuife & le partage ; & ainfi ce qu'il ne fçauroit enfanter, ou produire tout entier, il le conçoit pe- tit à petit, ou bien comme on dit en l'cfcolc ( Ina- déquate ) imparfaitement, & par partie. Mais ce grand homme pourfuit : Or pour imparfai-

Premières, u$

te que Toit cette façon d'eflre , par laquelle <vne chofe efî ob- iecliuement dans l'entendement par fin idée , certes on ne peut pas néanmoins dire que cette façon & maniere^la ne. (oit rien , ny Par confièrent que cette idée vienne du néant.

Il y a icy de l'equiuoque, car fi ce mot Bien eft la mefme chofe que n'eftre pas actuellement, en ef- fecl: ce n'eft rien, parce qu'elle n'eft pas actuelle- ment > & ainfi elle vient du néant ,c eft à dire qu'el- le na point de caufe : Mais fi ce mot Rien dit quel- que chofe de feint par l'efprit, qu'ils appellent vul- gairement., Eflre de raifin > ce n'eft pas vn 2{ien , mais quelque choie de réel , qui eft conceuë diftin&c- ment. Et neantmoins parce qu'elle eft feulement conceuë, & qu'actuellement elle n'eft pas j elle pcuo à la vérité cftre conceuë, mais elle ne peut aucune- ment eftrc cauféc, ou mife hors de lentendement.. MaU ie 'veux , dit-il, outre cela, examiner, fi moy qui ay cette idée de Dieu , ie pourrois eflre, en cas qu'il n'y eufl point de Dieu, ou comme il dit immédiatement au-, parauant 3 en cas qu'il n'y eufl point d'cjîre plus parfait auQ le mien, & qui ait mis en moy fin idée. Car , dit- il , de* epui aurais- je mon exiflence : L'eiu-fire de moy me (me, eu* de mes parens ,ou de quelques autres , &c. Or ejl-il que fi ie. ïauois de moy -me fine , ie ne douterais point 3 ny ne délire- rais point > & il ne me manq%erok aucune chofe .;. car ie me, Jêrots donné toutes Is y -t récitons dont lay ..en moy quel* que idée, & ainfi moy mefme ie forais Dieu. Que fi lay, mon exiflence d'au j , ie viendray enfin a ce qu'a, de

izo Objections

foy 3 & ainf le mefne raifonnement que ie viens de faire pour moy 3 efl pour luy , & prouue qu'il efl Dieu. Voila certes à mon auis la mefme voye que fuit Saint Tho- mas, qu'il appelle la voye de la caufalité de la cau- fe efficiente ^laquelle il a tirée du Philofophe -, hor- mis que Saint Thomas, ny Ariftote ne fe font pas fouciez descaufes des idées. Etpeut-eftre n'en eftoit- il pas befoin j Car pourquoy ne fuiuray-je pas la voye la plus droite, & moins écartée ? le pcnfe, donc ic fuis, voire mefme ie fuis l'cfprit mefme, & la penfée -, Or cette penféc & cet cfprit , ou il eft par foy -mefme, ou par autruy ', fi par autruy, ce- luy-là enfin par qui eft-il ? s'il efl: par foy , dont il eft Dieu ; car ce qui eft par foy fe fera aifément donné toutes chofes.

le prie icy ce grand perfonnage, & le coniure de ne fe point cacher à vn Lecteur qui eft defireux d'ap- prendre, & qui peut-eftre neft pas beaucoup intel- ligent. Car ce mot Par foy eft pris en deux ^Façons ; en la première il eft pris pofitiuemcnt, àfçauoir par foy-mefme, comme par vne caufe, & ainfi ce qui feroit par foy, & fe donneroit l'eftrc à foy-mefme, fi par vn choix preueu & prémédité il fe donnoit ce qu'il voudroit, fans doute qu'il fe donneroit toutes chofes, & partant il feroit Dieu. En la féconde, ce mot Par foy eft pris negatiuement, & eft la mefme chofe que de foy -mefme, ou, non par autruy : & de cette façon, fi ie m'en fouuiens , il eft pris de tout le monde.

Or

-Premières. 121

Or maintenant fi quelque chofe eft Par -foy, ceft à dire , Non far autruy -, comment prouuerez- vous pour cela qu'elle comprend tout, & qu'elle eft infi- nie ? Car à prcfent ie ne vous écoute point fi vous4 dites, puis qu'elle eft par foy, elle fe fera ayfément dovjnc toutes chofes ; dautant qu'elle îveft pas par foy^comme par vnc caufe , & qu'il ne luy a pas efté pofïîble,auant quelle fuft,de preuoir ce qu'elle pour- roit eftre, poiir choifirce qu'elle feroit après. Il me fouuicnt d'auoir autrefois entendu Suarez raifonner de la forte -, Toute limitation vient d'vne caufe, car vne'chofe eft finie, & limitée, ou par ce que la caufe ne.luy a peu donner rien de plus grand, ny de plus parfait i ou parce qu'elle ne l'a pas voulu : Si donc quelque chofe eft par foy, & non par vne caufe, il eft vray de dire quelle eft infinie, & non limitée.

Pour moy ie n'acquiefee pas tout à fait à ce rai- fonnement ; Car qu'vne chofe foit par foy tant qu'il vous plaira, ceft à dire qu'elle ne foit point par au- truy, que pourrez-vous dire fi cette limitation vient de fes principes internes & conftituans, ceft à' dire de fa forme mcfme,& de fon effenec, laquelle ncant- moins vous nauez pas encore prouué eftrc infinie? Certainement fi vous fupofezquc le chaud eft chaud, il fera chaud par fes principes internes & conftituans, & non pas froid, encore que vous imaginiez quil ne foit pas par autruy, ce qu'il eft. le ne doute point que Monfieur des Cartes ne manque pas de raifons pour lubftituer à ce que les autres n'ont peut -eftre

CL

i22 Objections *

pas aifez iuffifamment expliqué, ny déduit aifez clai- rement.

Enfin ic conuicns auec ce grand homme , en ce qu'il établit pour règle generale,^«f les chojès que nous conceuons fort clairement > f0 fort diftinclement , font toutes vrayes. Mefme ie croy que tout ce que ie penfe eft vray : Et il y a défia longtemps que i'ay renoncé à toutes les Chymeres, & à tous les cftres de raifon; Car aucune puiffanec ne fe peut deftourner de fon propre obje& j fi la volonté fc meut , elle tend au bien 5 les fens mefmes ne fe trompent point : car la veuë void ce quelle void, l'oreille entend ce qu'elle entend, & fi on void de l'oripeau, on void bien : mais on fe.trompe lors qu'on détermine par fon iugement, que ce que Ton void eft de l'or. De forte que Mon- fîeur Des -Cartes attribue auec beaucoup de raifon toutes les erreurs au iugement, & à la volonté.

Mais maintenant voyons fi ce qu'il veut inférer de cette règle eft véritable. le connois, dit il, clairement & diftinclement l'Eftre infiny ; Donc c'eft vn eftre vray j & qui eft quelque chofe. Quclqu'vn luy dema^ri- . dera ; ConnohTez-vous clairement & diftinclement l'Eftre infiny ? Que veut donc dire cette commune fentence , laquelle eft connue' d'vn chacun : Linfiny entant quinfiny^fk inconnu ; Car fi lors que ie penfe à vn Chyliagone, me reprefentant confufément quel- . que figure, ie n'imagine ou ne connois pas diftincle- ment le Chyliagone, parce que ie ne me reprefente pas diftinâtement fes mille coftez : comment eft-cc

Premières. 12$

que ic conceuray diftin&cment, & non pas confu- fément l'Elire infiny entant qu infiny, veu que ie ne puis pas voir clairement, & comme au doigt & à l'œil, les infinies perfections dont il cft. compofé ?

Et c'eftpeut-eftre ce qu'a voulu dire faint Thomas: . Car ayant nié que cette proportion, Ttïeu efiA fuft claire & connue fans preuuc : Il fe fait à 'foy - mefme cette objection des paroles de faint Damafcene -y La connoifTance que Dieu eft , eft naturcllemçnt em- prainte en Pefprit de tous les hommes ; Donc c'eft vne chofe claire , & qui n'a point befoin de preuue pour eftrc connue. A quoy il rcfpond , Connoiftrc que Dieu eft, en gênerai, & comme il dit, fous quel- que confufion,à fçauoir entant qu'il eft la béatitude de l'homme, cela eft naturellement imprimé en nous; mais cen'eft pas, dit-il, connoiftre fimplement que Dieu eft ; tout ainlî que connoiftrc que quelqu'vn vient, ce n'eft pas connoiftre Pierre, encore que ce foit Pierre qui vienne, &c. Comme s'il vouloit dire, que Dieu eft connu fous vne raifon commune, ou de fin dernière, ou mefme de premier eftrc, cotres-par- fait, ou enfin fous la raifon d'vn cftrequi comprend, cV embraiTe confufément &en gênerai toutes chofes: mais non pas fous la raifon precife de fon eftre, car ainfi il eft infiny , & nous eft inconnu. le fçay que Monficur Des- Cartes rcfpondra facilement à ccluy qui l'interrogera de forte ; le croy neantmoins que les chofes que i'allegueicy feulement par forme d'en- tretien & d'exercice, feront qu'il fe reflbuuiendra de

Qij

12 4- ObjeBiOffs

ce que dit Boecc, qu'il y a certaines notions commu- nes, qui ne peuuent eftre connues fans preuuc que 4 par les fçauans -, De forte qu'il ne fe faut pas fort eftonner,fi ceux-là interrogent beaucoup, qui defi- t renc fçauoir plus que les autres ; & s'ils s'arreftent - long-temps à confiderer, ce qu'ils fçauent auoir efté dit &auancé, comme le premier & principal fonde-* ment de toute l'affaire j& que neantmoins ils ne peu- uent entendre fansvne longue recherche, &vne très- grande attention d'efprit.

Mais demeurons d accord de ce principe, &fupo- fons que quelqu'vn ait l'idée claire & diftinclx, dVn eftre fouuerain , &fouuerainement parfait; que pré- tendez-vous inférer de ? C'cft à fçauoir, que cet eftre infîny exifte , & cela fi certainement, que ie dois eflre au moins aujjt a/Juré de l'exigence de Dieu, que ie l'ay- efle iujques icy de la "vérité des demonflrations Mathémati- ques : En Jorte qtf'd ri y a pas moins de répugnance de con- f ceuoir njn.Dieu (c'efl à dire vn eflre fouuerainement parfait) auquel manque ïexiflence (c'eft à dire auquel manque queU que